Variations sur le corps

Coordonné par Pascale Molinier et Marie Grenier-Pezé

Introduction

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Sommaire

 Dossier

Pascale Molinier et Marie Grenier-Pezé
Introduction [p. 7-19]

Judith Butler
Les genres en athlétisme : hyperbole ou dépassement de la dualité sexuelle ? [p. 21-35]

Marie Grenier-Pezé
Forclusion du féminin dans l’organisation du travail : un harcèlement de genre [p. 37-52]

Joan Cassell
Différence par corps : les chirurgiennes [p. 53-81]

Anne Saouter
L’espace homosexué du rugby : le masculin en questions [p. 83-100]

Christophe Dejours
Différence anatomique et reconnaissance du réel dans le travail [p. 101-125]

Débat

Dominique Memmi et Pascale Molinier
À propos des films de Catherine Breillat [p. 127-141]

Notes de lecture

— Françoise Battagliola. Histoire du travail des femmes (Pierre Tripier)

— Helena Hirata, Françoise Laborie, Hélène Le Doaré, Danièle Senotier. Dictionnaire critique du féminisme (Jules Falquet)

— Françoise Collin. L’hommes est-il devenu superflu ? Hannah Arendt (Philippe Zarifian)

— Pascale Donati, Suzanne Mollo, Alain Norvez, Catherine Rollet. Les centres maternels. Réalités et enjeux éducatifs (Gabrielle Varro)

— Claire Dodane. Yosano Akiko, poète de la passion et figure de proue du féminisme japonais (Anne-Marie Devreux)

— Liane Mozère. Travail au noir, informalité : liberté ou sujétion ? (Pierre Cours-Salies)

[p. 143-158]

Notes de lecture numéro 29

Résumés

Judith Butler — Les genres en athlétisme : hyperbole ou dépassement de la dualité sexuelle ?

À partir d’une théorie du corps comme projection culturellement construite, l’auteure analyse comment les idéaux de genre sont mis en scène et transformés dans le cadre des sports féminins. Certains corps de femmes, par leur morphologie et leurs performances, ont d’abord été jugés monstrueux, avant de devenir un idéal d’accomplissement, créant les conditions d’une crise épistémique favorable au dépassement de la catégorie « femme ».

Marie Grenier-Pezé — Forclusion du féminin dans l’organisation du travail : un harcèlement de genre

La présence médiatique du harcèlement moral impose sa confrontation à la nosographie existante et l’analyse de sa légitimité psychopathologique. La compréhension de sa redoutable efficacité passe par l’analyse des enjeux identitaires liés à la situation de travail, à la centralité des gestes de métier dans le maintien d’un équilibre psychosomatique, aux stratégies collectives de défense qui permettent de « tenir » au travail.

Joan Cassell — Différence par corps : les chirurgiennes

En tant que spécialité médicale, la chirurgie est une activité physique, incorporée d’une manière unique. Elle concerne les corps, celui du chirurgien comme celui du patient. Pendant l’intervention, le chirurgien perce l’enveloppe corporelle du patient, violant son intégrité. Quelle signification donner au fait que le chirurgien est une chirurgienne ? Le « corps à corps » patient/chirurgien est-il transformé par un corps de femme ? Ce corps a-t-il la même signification pour ses patients, ses collègues, ses supérieurs, ses subordonnés ? La question centrale dans les études sur le genre est de savoir si les hommes et les femmes sont fondamentalement différents ou essentiellement les mêmes. Comment comprendre différences et ressemblances en chirurgie — comme ailleurs ?

Anne Saouter — L’espace homosexué du rugby : le masculin en questions

Une étude anthropologique du rugby révèle une pratique sportive, autant qu’un « lieu » de construction de la masculinité. L’individu est en effet intégré dans une communauté masculine qui va lui permettre, dans un cadre institutionnalisé, d’accéder progressivement à l’âge d’homme. En même temps, face au stéréotype social d’une masculinité exacerbée, les rugbymen ne cessent de se défendre d’une homosexualité qu’un regard extérieur serait censé soupçonner. J’ai alors cherché à comprendre sur quoi se fondait cette crainte : le parcours biographique de l’individu présenterait-il une « anomalie », du moins ainsi qu’on me le laissait entendre ?

Christophe Dejours — Différence anatomique et reconnaissance du réel dans le travail

Les rapports sociaux de travail sont aussi des rapports sociaux de sexe. Quelle place revient au corps dans les différences entre hommes et femmes vis-à-vis de la souffrance au travail, d’une part, de la maîtrise technique d’autre part, de la division sexuelle du travail, enfin ? L’analyse clinique de l’expérience subjective du travail (psychodynamique et psychopathologie du travail) suggère que, si le corps est bien en cause dans les rapports sociaux de domination, ce n’est pas en raison des différences de biodisponibilité (pourtant substantielles) selon le sexe. Ce serait plutôt le fait de formes de mobilisation psychique du corps au travail, fortement différenciées selon le genre (bien que non substantielles). L’interprétation de ces données implique une discussion sur le statut théorique assigné à la notion de corps pour rendre compte des rapports entre subjectivité, travail et genre.

Abstracts

Judith Butler — Gender in athletics: Hyperbole or going beyond sexual duality?

On the basis of a theory of the body as culturally constructed, the author analyses how gender ideals are presented and transformed in feminine sports. Some women’s bodies, in both their morphology and their performances, were first considered monstruous before becoming an ideal to reach ; creating the conditions for an epistemical crisis looking to go beyond the category “women”.

Marie Grenier-Pezé — Foreclusion of the feminine in the organisation of work: Gender harassment

The media presence of moral harassment requires a confrontation of existing nosography and the analysis of its psychopathological legitimacy. An understanding of its redoubtable effectiveness requires an analysis for what is at stake for the identity in the work situation, the centrality of the acts of a certain profession in maintaining a psychosomatic balance, and the collective defence strategies which make it possible to “hold on” at work.

Joan Cassell — Difference by the body: Women surgeons

As a medical speciality, surgery is uniquely physical, distinctively embodied. It involves bodies, surgeons “as well as patients”. During an operation the surgeon pierces the patient’s envelope of skin, violating bodily integrity. What does it mean when the surgeon is a woman? Does the woman in the body relate to the bodies of patients the same way as a man? Does her body have the same meaning to patients, colleagues, superiors, and subordinates? A central issue in the study of gender is whether women and men are fundamentally different or essentially the same. How can we understand the differences and similarities in surgery — and elsewhere?

Anne Saouter — The homo-gendered space of rugby: Masculinity in question

An anthropological study of rugby brings to a light a sporting practice as much as a “space” for the construction of masculinity. The individual is in fact integrated into a masculine community which makes it possible for him — within an institutionalised framework — to gradually have access to man’s estate. At the same time, given the social stereotype of over-the-top masculinity, rugby players are constantly defending themselves against the homosexuality that observers are supposed to suspect. I have therefore tried to understand on what this fear is based: is there some “anomaly” in the life history of each individual, at least that is what I was led to believe.

Christophe Dejours — Anatomical difference and recognising the real at work

What is the place of the body in the differences between women and men in suffering at work on the one hand, technical mastery on the other, and finally in the sexual division of labour? Clinical analysis of the subjective experience of work (psychodynamics and psychopathology of work) suggests that, while the body comes into play in the social relations of domination, this is not because of the differences in biodisponibility according to the sex of the person (although these are substantiated elements). It seems to be more the result of forms of psychological mobilisation of the body at work which are very different according to the gender (although not substantiated). The interpretation of this data involves a discussion on the theoretical status assigned to the notion of the body in order to describe the relations between subjectivity, work and gender.

Resúmenes
Auteur•es

Judith Butler est professeure au Département de rhétorique et de littérature comparée de l’université de Californie, à Berkeley. Elle est l’auteure de nombreux ouvrages, articles et contributions sur la philosophie ainsi que sur la théorie féministe et sur la théorie queer.
— (1990). Gender Trouble: Feminism and the Subversion of Identity. London, New York. Routledge.
— (2000). Kinship Between Life and Death. Berkeley. Columbia University Press.

Joan Cassell est une anthropologue qui a toujours défendu une vision non traditionnelle de sa discipline. Auteure d’une thèse sur le mouvement des femmes contemporain, elle s’est aussi penchée sur la question de l’éthique dans la recherche en sciences sociales. À partir de 1983, elle a centré ses travaux sur les chirurgiens, dans une optique de genre. Constatant que la plupart d’entre eux étaient des hommes, elle s’est intéressée aux problèmes rencontrés par les chirurgiennes.
— (1991). Joan Cassell (ed) Expected Miracles: Surgeons at Work, Philadelphia. Temple University Press.
— (1998). The Woman in the Surgeon’s Body. Cambridge, MA.. Harvard University Press.

Christophe Dejours est professeur au CNAM et Directeur du laboratoire de psychologie du travail et de l’action. Ses thèmes de recherche sont la santé mentale et travail. Psychosomatique.
— (2000). Travail : usure mentale. Paris. Bayard, 3e édition.
— (2001). Le corps, d’abord (corps biologique, corps érotique et sens moral). Paris. Payot-Rivages.

Marie Grenier-Pezé est psychanalyste, psychosomaticienne, membre du GEDISST. Ses recherches portent sur l’indissociabilité du corps au travail et du corps érotique dans le maintien d’un équilibre psychosomatique comme dans l’analyse des décompensations. Les formes pathologiques peuvent être infraliminaires comme la fatigue, somatiques comme les T.M.S., éthiques comme les violences et le harcèlement au travail. L’étiologie, la prise en charge pluridisciplinaire de ces manifestations de souffrance ne peut en tout cas jamais faire l’économie de la place du féminin dans le monde du travail.
— (1998). « Corps érotique et corps au travail : les hommes de métier ». Travailler, n° 1.
— À paraître : « Contrainte par corps : le harcèlement moral ». Travail, genre et sociétés.

Pascale Molinier est maître de conférences en psychologie du travail au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), membre du Laboratoire de psychologie du travail du CNAM et membre du comité de rédaction des Cahiers du Genre. Elle consacre ses recherches à « Psychodynamique du travail et rapports sociaux de sexe » et à « Genre, travail et sexualité ».
— (1997). « Autonomie morale subjective et construction de l’identité sexuelle : l’apport de la psychodynamique du travail ». Revue internationale de psychosociologie, vol. III, n° 5.
— (2000). « Virilité défensive, masculinité créatrice ». Travail, genre et sociétés, n° 3.

Anne Saouter, docteure en anthropologie sociale et historique, conduit ses recherches en collaboration avec l’IDEMEC d’Aix-Marseille. Elle poursuit actuellement ses travaux sur les représentations des sexes et la construction du genre dans les pratiques sportives.
— (1995). « La maman et la putain. Les hommes, les femmes et le rugby ». Terrain, n° 25.
— (2000). Être rugbyman. Jeux du masculin et du féminin. Paris. Mission du patrimoine ethnologique. Paris. Ed. de la Maison des sciences de l’homme.

Cahiers du Genre n°29/2000

février, 174 p.

ISSN  1165-3558 – ISBN 2-7475-0458-1