La relation de service. Regards croisés

Coordonné par Dominique Fougeyrollas-Schwebel

Introduction

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Sommaire

Dossier

Dominique Fougeyrollas-Schwebel
Introduction [p. 5-18]

Anni Borzeix
Relation de service et sociologie du travail – l’usager : une figure qui nous dérange ? [p. 19-48]

Pascale Molinier
Travail et compassion dans le monde hospitalier [p. 49-70]

Philippe Zarifian
Valeur de service et compétence [p. 71-96]

Angelo Soares
Interactions et violences dans les supermarchés : une comparaison Brésil – Québec [p. 97-115]

Liliana Rolfsen Petrilli Segnini
Le télémarketing : un vrai travail moderne [p. 117-131]

Diane Lamoureux
Services ou politique. Quelques dilemmes du mouvement des femmes au Québec [p. 133-157]

Notes de lecture

— Jean-Marc Weller. L’État au guichet. Sociologie cognitive au travail et modernisation administrative des services publics (Pierre Tripier)

— Margaret Maruani. Travail et emploi des femmes (Danièle Kergoat)

— Karen Messing. La santé des travailleuses. La science est-elle aveugle ? (Danièle Kergoat)

[p. 159-165

Notes de lecture numéro 28

Comptes rendus

— Jeanne Bisilliat, Christine Verschuur (eds). Le Genre : un outil nécessaire. Introduction à une problématique (Christa Wichterich)

— Gregory Abigail, Jan Windebank. Women’s Work in Britain and France. Practice, Theory and Policy (La rédaction)

[p. 166-168]

Comptes rendus numéro 28

Résumés

Anni Borzeix — Relation de service et sociologie du travail– l’usager : une figure qui nous dérange ?

La relation de service non seulement désigne, mais « est » plusieurs « choses » à la fois : un objet de recherche, un concept, une modélisation, une expérience quotidienne, une orientation en matière d’action publique, un discours managérial… Cet article examine les effets retour qu’un tel objet peut avoir sur l’une des disciplines concernées : la sociologie du travail. L’hypothèse est que cet objet nous dérange. L’usager-destinataire du service fait figure d’intrus, de hors-statut. Il n’appartient pas à notre univers théorique de référence, pas plus que l’idée que le travail, le contenu même de l’action, puisse prendre la forme d’une relation, d’une intervention sur le vivant et non plus d’une activité de transformation de la matière. Un exemple empirique — celui de l’information des voyageurs en gare — montre tout l’intérêt qu’il y a à se placer du point de vue de la réception (à suivre le destinataire) pour analyser le travail réel de l’agent annonceur.

Pascale Molinier — Travail et compassion dans le monde hospitalier

À partir de la clinique et de la théorie en psychodynamique du travail, l’auteure montre que pour les infirmières, la compassion n’est pas une capacité psychologique « naturelle », mais une construction collective mobilisée par l’expérience soignante. Dans le secteur du travail technique hospitalier (maintenance, restauration, etc.) travaillent en majorité des hommes. Une enquête de psychodynamique du travail, menée auprès de cadres de ce secteur suggère que les personnels techniques hospitaliers appartiennent bien au même monde vécu que celui des soignantes. C’est autour de la dimension compassionnelle du travail hospitalier que les divisions corporatistes pourraient être surmontées et que de nouvelles formes de solidarité entre soignantes et personnels techniques pourraient être inventées.

Philippe Zarifian — Valeur de service et compétence

Cet article propose une définition du service et de sa valeur sociale qui se différencie des approches dominantes de la valeur économique. Le service y est défini comme une transformation réalisée dans les conditions d’activité et les dispositions d’action du destinataire, et soumis à un jugement évaluatif, qui peut relever de quatre grands types : jugement d’utilité, de justice, de solidarité, et esthétique. Cette transformation mobilise et appelle une réelle compétence professionnelle, dont l’axe majeur réside dans l’élucidation et la compréhension des événements auxquels le destinataire est confronté et qui se manifestent dans ses demandes. Ces demandes vont se confronter, non seulement à la gamme possible des solutions que le prestataire peut offrir, mais aussi à l’initiative de ce dernier pour engager un processus de réponse (qui peut se prolonger dans tout le back office de l’entreprise de service). Mais il reste clair que le professionnalisme ainsi engagé est encore très mal reconnu. Et le restera aussi longtemps qu’un concept de valeur de service n’aura pas été suffisamment dégagé.

Angelo Soares — Interactions et violences dans les supermarchés : une comparaison Brésil – Québec

Ce texte décrit les interactions qui régissent les rapports entre caissières et clients. D’abord, on souligne l’existence de milliers de relations de pouvoir et, par conséquent, de rapports de force qui caractérisent la vie quotidienne des caissières. Ensuite, dans les rencontres avec les clients, traversées par les rapports sociaux de classe, sexe, race et ethnie, les travailleuses sont exposées à différentes formes de violence de la part des clients : les abus verbaux, la violence physique, le racisme, le harcèlement sexuel et les vols à main armée. L’auteur inscrit son analyse dans une perspective comparative entre le Brésil et le Québec.

Liliana Rolfsen Petrilli Segnini — Le télémarketing : un vrai travail moderne

Cet article se propose d’analyser comment les rapports de genre, pris dans la trame complexe et contradictoire des rapports sociaux à l’œuvre dans la division sociale et sexuelle du travail, sont des éléments de la rationalisation des activités de service. Cette analyse sera centrée sur le travail salarié utilisant les réseaux informatique et télématique, c’est-à-dire le télémarketing dans les centres de service à distance du système bancaire au Brésil.

Diane Lamoureux — Services ou politique. Quelques dilemmes du mouvement des femmes au Québec

Quels ont été les impacts de l’importance des pratiques de service sur l’évolution du féminisme au Québec ? Après avoir situé l’origine de ces pratiques et les effets transformateurs qu’elles ont eus, l’accent sera mis sur l’intégration subalterne d’une partie du mouvement des femmes à la gestion étatique des « problèmes féminins » et sur les effets possibles de l’économie sociale sur les activités des groupes de femmes. Tout cela permettra de constater que les femmes, loin d’être devenues des sujets politiques, font encore largement l’objet de politiques sociales qui conditionnent leur rapport à l’État.

Abstracts

Anni Borzeix — The service relationship and the sociology of work – the user: A figure which disturbs?

The service relationship not only designates a relationship but it “exists”: it is a subject for research, a concept, a model, a daily experience, an orientation for public action, a management discourse… This article examines the effects that such a subject can have on one of the disciplines concerned: the sociology of work. The hypothesis is that this object disturbs us. The user-receiver of services is an intruder, a being without status. It does not belong to our universe of theoretical references, any more than the idea that work, the very content of action, can take the form of a relationship, of an intervention on living matter and no longer of a transformation of the matter. An empirical example — that of the information for travellers in a station — shows the interest of placing oneself from the point of view of the reception (following the receiver) to analyse the real work of the announcing agent.

Pascale Molinier — Work and compassion in the world of the hospital

Starting from the clinic and the theory of psychodynamism in work, the author shows that compassion is not a « natural » psychological capacity for nurses, but a collective construction formed by the caring experience. A majority of men work in the technical hospital sector (maintenance, canteens, etc). A study of work psychodynamism among the managers of this sector suggests that hospital technical staff belong to the same universe of experience as that of the nursing staff. Corporatist division could be overcome around this compassionate dimension of hospital work and new forms of solidarity between nursing and technical staff could be invented.

Philippe Zarifian — The value of service and competence

This article proposes a definition of service and its social value which takes its distance from the dominant approaches of economic value. Service is defined as transformation carried out in the conditions of activity and the possibilities for action of the receiver, and submitted to an evaluating judgement, which can be one of four main types: of usefulness, of fairness, of solidarity or of aesthetic value. This transformation mobilises and calls on a real professional competence, whose major axis is the clarification and understanding of the events with which the receiver is confronted — demonstrated in their demands not only relative to the range of services which can be offered but to the service providers’ readiness to engage a process of response (which can be extended throughout the back office of the service company). But it remains clear that the professionalism thus implemented is still under-valued. And it will be for as long as a concept of service value has not been sufficiently defined.

Angelo Soares — Interaction and violence in supermarkets: A Brazil — Quebec comparison

This article describes the interactions which govern the relations between cashiers and customers. First of all it highlights the existence of a myriad of power relations and thus of relationships of force which characterise the daily life of cashiers. In their encounters with the customers, which are intertwined with the social relations of class, of sex, of race and of ethnicity, women workers are exposed to different forms of violence from their customers: verbal abuse, physical violence, racism, sexual harassment and armed robbery. The author places this analysis in a comparative perspective between Brazil and Quebec.

Liliana Rolfsen Petrilli Segnini — Telemarketing — really modern work

This article analyses how gender, relations within the complex and contradictory framework of social relations in the social and sexual division of labour, are elements in the rationalisation of service activities. This analysis focuses on waged work in computerised networks, that is to say telemarketing in the service centres of the banking system in Brazil.

Diane Lamoureux — Services or politics. Some dilemmas for the women’s movement in Quebec

What has been the impact of the growth of service practices on the evolution of feminism in Quebec? Having situated the origins of these practices and the transforming effects that they have had, the accent is put on the subordinate integration of a part of the “women’s movement” into state management of “women’s problems” and on the possible effects of the social economy on the activities of women’s groups. All this makes it possible to note that women, far from becoming political subjects, are still largely the object of social relations which shape their relationship to the state.

Resúmenes
Auteur•es

Anni Borzeix est directrice de recherche au CNRS, membre du Centre de Recherche en Gestion de l’École Polytechnique et du comité de Rédaction de la revue Sociologie du Travail, codirectrice du GDR « Langage et Travail ». Ses domaines de recherche sont : syndicalisme et organisation du travail, conflits sociaux, droit d’expression des salariés, modernisation du service public et relation de service, pratiques langagières et activités de travail. Ses travaux se situent au confluent de la sociologie du travail, des sciences du langage et de la gestion.
— (1998). (avec Alban Bouvier et Patrick Pharo, eds) Sociologie et connaissance. Nouvelles approches cognitives. Paris. Éditions du CNRS.
— (1997). « Filmer le travail : recherche et réalisation ». Champs Visuels, n° 6. L’Harmattan.

Dominique Fougeyrollas-Schwebel, sociologue, chargée de recherche au CNRS, est membre de l’IRIS (Institut de recherche interdisciplinaire socio-économique)-Université Paris-Dauphine. Ses travaux récents portent sur les relations de service, ainsi que sur l’analyse du féminisme contemporain et sa reconnaissance par les politiques publiques. Elle appartient à l’équipe pluridisciplinaire qui mène la première enquête quantitative en France sur les violences envers les femmes.
— (1998). « Travail domestique, services domestiques ». In Le monde du travail Jacques Kergoat, Josiane Boutet, Henri Jacot et Danièle Linhart (eds). Paris. La Découverte, « Textes à l’appui ».
— (2000). « Approche quantitative des violences envers les femmes au travail : quelles analyses privilégier ? » Travailler, n° 4. En collaboration avec Annik Houel et Maryse Jaspard.

Diane Lamoureux est professeure titulaire au Département de science politique de l’université Laval. Elle a publié sur les mouvements féministes et la théorie politique, dont les théories féministes. Ses recherches actuelles portent sur la citoyenneté et la démocratie, plus particulièrement sur les limites des politiques identitaires.
— (1989). Citoyennes ? Femmes, droit de vote et démocratie. Québec. Éditions du remue-ménage
— (1998). Les limites de l’identité sexuelle. Québec. Éditions du remue-ménage.

Pascale Molinier est maître de conférences en psychologie du travail au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), membre du Laboratoire de psychologie du travail du CNAM et membre du comité de rédaction des Cahiers du Genre. Elle consacre ses recherches à « Psychodynamique du travail et rapports sociaux de sexe » et à « Genre, travail et sexualité »
— (1997). « Autonomie morale subjective et construction de l’identité sexuelle : l’apport de la psychodynamique du travail ». Revue internationale de psychosociologie, vol. III, n° 5.
— (2000). « Virilité défensive, masculinité créatrice ». Travail, Genre et Sociétés, n° 3.

Liliana Rolfsen Petrilli Segnini est enseignante-chercheuse à l’université de l’État de Campinas au Brésil. Elle est rattachée au Département de Sciences sociales appliquées de la Faculté d’Éducation. Ses recherches, axées sur le secteur des services, articulent la sociologie du travail et la sociologie de l’éducation. Depuis dix ans, elle a inscrit ses thèmes de recherche dans la problématique de la division sexuelle du travail.
— (1998). Mulheres no trabalho bancário. Tecnologia. Qualificação e relações de gênero. São Paulo. EDUSP.
— (2000). Constantes recomenços: homens e mulheres em situação de desemprego. São Paulo. Fundação Carlos Chagas.

Angelo Soares est sociologue, professeur associé au Cinbiose : Centre pour l’étude des interactions biologiques entre la santé et l’environnement à l’Université du Québec à Montréal. Ses recherches portent sur le travail émotif et sur la santé mentale dans le secteur des services, les émotions et le harcèlement moral au travail
— (1997). Soares A. (ed) Stratégies de résistance et travail des femmes. Paris. L’Harmattan.
— (Sous presse) Télétravail : le mythe du chalet électronique. Montréal. IQ Éditeurs.

Philippe Zarifian est professeur de sociologie à l’université de Marne-la-Vallée et chercheur au LATTS-ENPC. Il mène actuellement un programme de recherche de longue durée sur les transformations du travail, des organisations et de l’approche de la valeur dans les grandes entreprises de service. En parallèle, il poursuit un travail de nature plus personnelle autour des questions de la citoyenneté dans une société moderne mondialisée.
— (1995). Le travail et l’événement. Paris. L’Harmattan.
— (1999). L’émergence d’un Peuple Monde. Paris. PUF, Politique d’aujourd’hui.

Cahiers du Genre n°28/2000

octobre, 172 p.

ISSN  1165-3558 – ISBN 2-7384-9809-4