De la contraception à l’enfantement.
L’offre technologique en question

Coordonné par Madeleine Akrich et Françoise Laborie

Introduction

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Sommaire

Dossier

MadeleineAkrich et FrançoiseLaborie
Introduction [p. 5-16]

Madeleine Akrich
La péridurale, un choix douloureux [p. 17-48]

Simone Bateman et Tania Salem
L’embryon en suspens [p. 49-73]

Laurence Tain
Techniques et acteurs : parcours différenciés de femmes dans une démarche de fécondation in vitro
[p. 75-94]

Irma Van der Ploeg
L’individualité féminine à l’épreuve des technologies de reproduction [p. 95-121]

Lucila Scavone
Les paradoxes des droits reproductifs au Brésil : avortement et stérilisation féminine [p. 123-137]

Nelly Oudshoorn
Contraception masculine et querelles de genre [p. 139-166]

Marie-Josèphe Dhavernas Levy
Reproduction médicalisée, temps et différence [p. 167-188]

Notes de lecture

— Barbara Klaw (1999). Le Paris de Beauvoir / Beauvoir’s Paris ; Françoise Rétif. Simone de Beauvoir (1998). L’autre en miroir ;  Catherine Rogers (1998). Le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir. Un héritage admiré et contesté (Marie-Blanche Tahon)

— Pierre Bourdieu (1998). La domination masculine (Dominique Fougeyrollas-Schwebel)

[p. 189-198]

Notes de lecture numéro 25

Résumés

Madeleine Akrich — La péridurale, un choix douloureux

L’analgésie péridurale, qui permet de supprimer la douleur de l’accouchement sans altérer la conscience, a connu ces dernières années en France un développement important : pour certain(e)s, il s’agit d’une victoire des femmes accédant à un droit fondamental, d’autres considèrent qu’elle renforce l’emprise croissante des techniques et des médecins sur le corps des femmes. Tou(te)s s’accordent sur l’idée qu’un choix doit être proposé à la femme, laquelle se trouve installée en acteur autonome, rationnel, maître de ses décisions. Dans cet article, basé sur des entretiens avec des femmes, nous reviendrons sur les conditions « en pratique » dans lesquelles se détermine l’usage de la péridurale et sur cette notion de « choix », centrale dans les représentations que s’en font les acteurs.

Simone Bateman et Tania Salem — L’embryon en suspens

Cet article part d’un fait divers où les principaux protagonistes s’affrontent sur le sort à réserver à des embryons conçus in vitro et congelés, suite à la mort du conjoint de la femme traitée. Le cas est présenté comme paradigme de la procréation assistée. Il souligne la radicale transformation du contexte dans lequel parents, médecins et scientifiques ont à prendre des décisions sur des embryons et fait émerger la redistribution de pouvoir et de responsabilités entre protagonistes que cette transformation implique. Une comparaison des éléments de ce fait divers avec les paramètres de prise de décision établis dans la loi sur l’interruption de grossesse (1975) révèle l’importance déterminante, pour la définition de la situation et pour la compréhension du conflit, de la localisation physique de l’embryon (dans ou hors du corps de la femme).

Laurence Tain — Techniques et acteurs : parcours différenciés de femmes dans une démarche de fécondation in vitro

L’analyse des relations entre acteurs des nouvelles techniques de reproduction a souvent conduit à privilégier la description des stratgies de ceux qui sont désignés comme dominants : les inventeurs, les médecins, les hommes. À l’inverse, on s’intéressera ici à l’expérience des femmes en faisant l’hypothèse qu’il existe des différenciations dans la démarche de procréation médicalement assistée à l’image de la complexité des rapports sociaux de sexe. Effectivement, l’analyse des parcours de femmes, à partir des dossiers médicaux d’un service hospitalier spécialisé, révèle des lignes de conduite spécifiques : sont ainsi mises à jour des stratégies différentes selon la situation professionnelle, le niveau de qualification, la position vis-à-vis de l’hôpital. Avec la médicalisation croissante de notre société, le « devoir de procréation » se jouerait donc sur une scène où interviennent conjointement les rapports sociaux de sexe, la position vis-à-vis du travail, le lien avec l’institution médicale.

Irma Van der Ploeg — L’individualité féminine à l’épreuve des technologies de reproduction

Cet article décrit l’émergence de deux nouveaux types de patients, le couple et le fœtus, dans certaines techniques reproductives telles la fécondation in vitro et la chirurgie fœtale. Il montre comment l’émergence de ces patients, comme des entités traitables, est liée au développement de ces technologies. Ces pratiques médicales effacent en partie les distinctions entre le naturel et le technique, entre un individu et un autre, et sont accompagnées de dispositifs discursifs spécifiques qui rendent acceptable, voire même naturel ou inévitable le fait de traiter les problèmes de l’enfant ou de l’homme au moyen d’interventions sur le corps de la femme. Cet article est consacré à l’analyse et à la déconstruction de ces dispositifs.

Lucila Scavone — Les paradoxes des droits reproductifs au Brésil : avortement et stérilisation féminine

Cet article rend compte du débat mené au Brésil autour des droits reproductifs et souligne les avancées et les contradictions particulières de deux problèmes que rencontrent actuellement les femmes brésiliennes : la stérilisation et la pratique illégale de l’avortement. Il met en évidence que la pratique généralisée de la stérilisation féminine et le nombre des avortements clandestins, qui représentent un risque pour la santé des femmes, révèlent les carences de la politique de la santé sur le plan des choix reproductifs et de la politique de contrôle démographique. Il montre les diverses orientations prises par ce débat à la fin des années quatre-vingt-dix et la nécessité de se réapproprier sa dynamique de transformation sociale.

Nelly Oudshoorn — Contraception masculine et querelles de genre

Depuis la seconde guerre mondiale, treize nouveaux contraceptifs féminins ont été émis au point alors que les contraceptifs masculins sont à peu près inchangés depuis quatre cents ans. La responsabilité contraceptive, avec les risques qui en découlent pour la santé, est donc attribuée principalement aux femmes. Cet article se propose d’analyser le rôle de différents acteurs dans la réécriture éventuelle des rapports de genre autour de la contraception. Nous nous concentrerons sur le cas des nouvelles techniques contraceptives, surtout masculines, et la manière dont leurs utilisateurs sont définis. Alors que la plupart des travaux en sociologie des techniques insistent sur le rôle de l’innovation dans cette définition de l’utilisateur, nous montrerons qu’aux côtés des scientifiques, les féministes et les journalistes ont joué un rôle important dans la configuration des utilisateurs potentiels de ces techniques contraceptives : ils ont construit une grande variété de représentations de la masculinité et des utilisateurs hommes. Ces représentations sont utilisées soit pour montrer qu’il n’y a pas d’obstacle culturel à l’acceptabilité de ces techniques, soit à l’inverse, pour en dénoncer le caractère utopique.

Marie-Josèphe Dhavernas Levy — Reproduction médicalisée, temps et différence

La procréation médicalement assistée, puis la perspective d’application humaine du clonage reproductif, ont suscité de nombreuses inquiétudes quant à l’essence même de l’humanité, à laquelle elles semblent porter atteinte, voire qu’elles menacent d’un coup fatal ; ces pratiques restent pourtant minoritaires, et dans le cas du clonage, encore hypothétique. Mais l’important ici n’est pas tant la réalité concrète des faits que les représentations mises en œuvre, et ce qui est craint est surtout l’atteinte à l’idée que l’humanité se fait d’elle-même et de son identité, comme espèce sexuée, généalogique, et mortelle. Sans prendre parti sur le bien-fondé de ces appréhensions, on tâche d’en établir la cartographie schématique, et d’analyser ce qui, dans la différence des sexes et dans le temps vectorisé, est ressenti à la fois comme fondamental eu égard au « propre de l’homme », et fondamentalement fragilisé par l’irruption de la biomédecine dans la procréation.

Abstracts

Madeleine Akrich — Epidural: A painful choice

The practice of epidural painkillers which suppress the pain of childbirth while maintaining full consciousness has increased rapidly in France in the last few years. For some this is a victory for women, giving them access to a fundamental right, others consider that it strengthens the growing hold of doctors and technical procedures over women’s bodies. All agree that the choice should be offered to the woman, who finds herself in the role of an independent, rational actor, mistress of her own decisions. In this article, based on interviews with different women, we look at the conditions “in practice” in which epidurals are decided upon, and on the notion of “choice” central to how the actors view themselves.

Simone Bateman — Embedding the Embryo

This article uses as its starting point a news item in which the principal protagonists disagree as to the way in which embryos frozen after an in vitro procedure should be disposed of after the death of the woman’s partner. The case is presented as a paradigm of assisted conception, emphasizing the radical transformation of the context in which parents, physicians and scientists are making decisions about embryos and bringing to light the redistribution of power and responsabilities among protagonists which this transformation implies. A comparison of the different elements of this case with the parameters established for decision-making in the French abortion law (1975) reveal the paramount importance of the physical location of the embryo (in or outside the woman’s body) in defining the situation and understanding the conflict.

Laurence Tain — Techniques and actors: Different itineraries of women seeking in vitro fertilization

The analysis between those involved in new reproductive technology has often led to highlighting the strategies of those who are considered dominant: inventors, dotors, men. Here on the other hand we study the experience of women, making the hypothesis that there are differences in the search for medically-assisted reproduction reflecting the complexity of gender relations. Indeed, analysing women’s trajectories on the basis of the medical records of a specialized hospital service reveal specific forms of behaviour: thus we see different strategies depending on the professional situation, the level of education, the position in relation to the hospital. With the growing medicalization of our society, the « duty to reproduce » is carried out on a stage in which gender relations, the relationship to work and the link to the medical institution are all factors to be considered.

Irma Van der Ploeg — Female individuality in reproductive technologies

This article is concerned with the emergence of two new types of patients in the medical reproductive technologies of IVF and prenatal surgery, the couple and the fetus. It argues that the conception of couples and fetuses as singular treatable patients is closely connected to the development of particular technologies. But these unconventional practices, that mix up the distinction between the technological and the natural as well as the distinction between one individual and another, are accompanied by specific discursive mechanisms that render the treatment of male problems and children’s problems through women’s bodies acceptable, or even natural and biologically inevitable. This paper is devoted to the analysis and deconstruction of such mechanisms.

Lucila Scavone — The paradoxes of reproductive rights in Brazil: Abortion and women’s sterilization

This article explains the debate in Brazil around reproductive rights and underlines the advances and specific contradiction of two problems which are the current lot of Brazilian women: sterilization and illegal abortions. It highlights the fact that the gernalized practice of female sterlization and the number of backstreet abortions, which are a risk to women’s health, reveal the failings of health policy at the level of reproductive choice and the population control policy. It shows the different directions taken by this discussion at the end of the 1990s and the need to reappropriate its dynamic of social transformation.

Nelly Oudshoorn — Male contraceptive technology and the question of gender

Since the Second World War, thirteen new contraceptives for women have been developed while the major methods of contraception available to men do not differ from those available to men over 400 years ago. Thus, responsibility for contraception and its risks to health is delegated primarily to women, not to men. This paper seeks to explore the role of different actors in rewriting this gender script. Special attention will be paid to how these actors configure the user of new contraceptive technologies, particularly contraceptives for men. Although most attention in social studies of technology is focused on innovator’s role in configuring the user, this paper suggests that scientific experts are not the only actors who construct specific representations of the prospective user. In the case of male contraceptives, feminists and journalists have played an active role in articulating and demarcating the potential users of this technology in the making. The paper shows how scientists, feminists, and journalists have constructed a variety of representations of masculinity and male users. These representations function as tools in enhancing the cultural feasibility of a technology or they can be used to denounce the viability of a new technology.

Marie-Josèphe Dhavernas Levy — Medicalised reproduction: Time and difference

Medically-assisted reproduction first and now the perspective of human cloning have provoked much discussion on the very essence of humanity, which they seem to attack, indeed to threaten with a fatal blow. However these are still minority and, in the case of cloning, hypothetical practices. But what is important here is not so much the concrete reality of the facts as the image of them and what is feared is above all the attack on the idea that humanity has of itself and its identity as a gendered, genealogical and mortal species. Without taking a position on the well-founded nature of these fears, the goal is to establish a schematic cartography of them and to analyse what, in the gender difference and the time used, is felt both to be fundamental to “the essence of humanity” and what is fundamentally weakened by the intervention of bio-medecine in reproduction.

Resúmenes
Auteur•es

Madeleine Akrich est sociologue, chercheuse au Centre de Sociologie de l’Innovation (CSI). Ses recherches portent sur les technologies, et s’intéressent à la place de l’usager, de la conception à l’utilisation de ces technologies. Elle mène depuis quelques années, en collaboration avec Bernike Pasveer, un travail sur l’obstétrique en France et aux Pays-Bas.
— (1993). « Les objets techniques et leurs utilisateurs, de la conception à l’action ». Raisons pratiques, « Les objets dans l’action », n° 4, p. 35-57.
— (1987). « Comment décrire les objets techniques ? ». Technique et Culture, n° 9, p. 49-64.

Simone Bateman est sociologue, chercheuse CNRS, au Centre de Recherche Sens, Éthique, Société (CERSES). Ses recherches portent principalement sur un champ de pratiques, où la capacité à procréer devient un enjeu de décision (avortement, insémination artificielle, don de gamètes). Elle analyse des situations où des moyens techniques modifient les conditions corporelles, relationnelles, institutionnelles, et dans certains cas, les conséquences d’une activité courante (procréer, soigner), et étudie la manière dont les enjeux sous-jacents émergent dans l’espace politique.
— (1994). Les Passeurs de Gamètes. Presses Universitaires de Nancy.
— (1998). « La bioéthique comme objet sociologique ». Cahiers Internationaux de Sociologie, vol. 104, p. 5-32.

Marie-Josèphe Dhavernas Levy est ingénieure à l’Institut International de Philosophie (CNRS). Son axe principal de recherche porte sur les effets politiques et idéologiques des représentations générées par les sciences de la vie et de la santé.
— (1995). « Prométhée stigmatisé ». In « Discours sur la bioéthique », Mots/Les langages du politique, n° 44, septembre, p. 25-39.
— (1997). « La science est-elle sexuée ? ». In Fédération mondiale des travailleurs scientifiques, Science, éthique et société. Montreuil. Actes du colloque international, FMTS/WFSW.

Françoise Laborie est sociologue au GEDISST (CNRS). Travaillant depuis plusieurs années sur les nouvelles technologies de la reproduction, elle a analysé les formes de construction sociale de la demande des femmes, soulignant la carence d’évaluation objective de procédures très largement expérimentales et mettant en évidence la place et le rôle des rapports sociaux de sexe dans les formes de développement de ces techniques.
— (1990). « D’une banalisation sans évaluation et de ce qui peut s’ensuivre ». In Jacques Testart (ed) Le magasin des enfants. Paris. François Bourin, 338 p. réédité en poche Gallimard 1994.
— (1996). « Parents et médecins face à l’embryon : relations de pouvoir et décisions ». In Brigritte Feuillet-Le Mintier. L’embryon humain. Approche multidisciplinaire. Paris. Economica, p. 193-202.

Nelly Oudshoorn est professeure à l’université de Twente et chargée de cours à l’université d’Amsterdam. Son enseignement est principalement orienté sur les questions relatives aux relations entre genre et technologies, tout comme ses activités de recherche qui sont consacrées à la coconstruction des corps, des genres, des usagers et des technologies.
— (1994). Beyond the Natural Body. An Archeology of Sex Hormones. London and New York. Routledge.
— (1998). Oudshoorn, N. E. J. “Shifting Boundaries between Indus­try and Science. The Role of the WHO in Contraceptive R&D”. Fort­hco­ming. In Gaudiliere, Lowy and Pestre (eds) The Invisible Industrialist ; Manufacturers and the Construction of Scienti–fic Knowledge. MacMillan Press.

Tania Salem est docteure en anthropologie sociale. Brésilienne vivant actuellement à New York (USA), elle est membre associée du Hastings Center et consultante pour l’Amérique centrale et le Brésil auprès d’organismes internationaux. Ses recherches portent sur des enjeux culturels aussi variés que la famille et la médecine de pointe. Elle collabore actuellement à une recherche sur la grossesse chez les adolescentes au Brésil. Le thème de l’individualisme dans les sociétés contemporaines fournit le cadre théorique de la plupart de ses travaux.
— (1980). O velho e o novo: um estudo de papeis e conflitos familiares, Petropolis, Editora Vozes.
— (1999). “Physician-assisted suicide: Promoting autonomy – Or medicalizing suicide?”. In Hastings Center Report, vol. 29, n° 3, p. 30-36.

Lucila Scavone est professeure au département de sociologie de l’université de São Paulo (UNESP. Campus de Araraquara) et chercheuse au CNPq, le Centre National de la Recherche scientifique brésilien (CNPq). Elle a fait un post-doctorat à l’INSERM en 1992. Entre autres publications dans un domaine portant sur genre et santé, elle a publié :
— (1996). Tecnologias reproductivas: género e ciência, ed. UNESP.
— (1998). “Tecnologias reprodutivas: novas escolhas, antigos conflitos”. Cadernos PAGU, 10.

Laurence Tain est membre du centre d’études démographiques et maîtresse de conférences en sociologie mathématique à l’université Lumière Lyon 2. Elle étudie actuellement la mise en œuvre de la fécondation in vitro. Elle interroge ainsi les enjeux sociaux de la procréation, en particulier la pratique de la médecine et les rapports entre les sexes.
— (1997). « D’une consultation pour stérilité à une fécondation in vitro : quelques aspects du processus de sélection ». Dossiers et recherches INED, n° 58.
— (1999). « L’homme, la femme et la médecine : l’expérience de la fécondation in vitro ». In Huguette Dagenais (ed) La recherche féministe dans la francophonie : pluralité et convergences. Montréal. Remue-ménage.

Irma Van der Ploeg (PhD) est une philosophe hollandaise travaillant sur les aspects politiques et normatifs des sciences et des technologies. Dans sa thèse (1998) elle a appliqué une approche sémiotique des sciences et des techniques à l’analyse des techniques reproductives. Travaillant pour l’Organisation néerlandaise de la recherche scientifique, elle étudie actuellement les technologies de l’information dans la biomédecine et les relations entre technologies, corpus et identités.
— (1995). Van der Ploeg I. , Van Wingerden I. “Celebrating the Cyborg? On the fate of a beautiful metaphor”. In later users’hands. European Journal of Women’s Studies, vol. 2, n° 3, p. 397-400

Cahiers du Genre n°25/1999

octobre, 208 p.

ISSN  1165-3558 – ISBN 2-7384-8476-X