Corps vulnérables

Coordonné par Sandra Boehringer et Estelle Ferrarese

Selon quels critères considère-t-on qu’un corps est exposé à la blessure ou à la destruction, objet possible ou probable de maltraitance ou de négligence ? Pourquoi et à partir de quels éléments une personne est-elle considérée comme devant être secourue, protégée ou encore pleurée ? Quelles sont les normes politiques, éthiques, psychologiques et sociales mobilisées, les argumentations déployées, les représentations projetées, les agencements matériels qui constituent un corps en entité vulnérable ? Transdisciplinaire et transculturel, ce numéro montre que les vulnérabilités sont à la fois le fruit et la source des structures hiérarchiques de la société, et propose une réflexion sur l’utilité de la notion de vulnérabilité pour le féminisme.

Introduction

 

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Sommaire

Dossier

Sandra Boehringer et Estelle Ferrarese
Féminisme et vulnérabilité (Introduction) [p. 5-19]

Marine Bretin-Chabrol
Du lait de la nourrice aux alimenta du père nourricier : des liens fragiles dans la Rome impériale [p. 21-39]

Penelope Deutscher
Reproduction précaire [p. 41-67]

Claude Calame
Chanter les vulnérabilités : des poèmes de Sappho au rap bernois, du modèle choral au paradigme néolibéral [p. 69-92]

Stéphanie Daniel-Genc
Femmes au combat : cessent-elles d’être une catégorie vulnérable ? [p. 93-112]

Sandra Bornand
Faire reconnaître sa vulnérabilité : quand les épouses zarma (Niger) quittent le foyer conjugal [p. 113-133]

Alyson Cole
Verbicide. D’une vulnérabilité qui n’ose dire son nom [p. 135-162]

Laurie Laufer
Éclats de mots : pouvoir de la parole et vulnérabilité [p. 163-180]

Hors-champ

Natacha Borgeaud-Garciandía
Trajectoires de vie et rapports de domination. Des travailleuses migrantes à Buenos Aires [p. 181-204]

Notes de lecture

— Anaïs Bohuon. Le test de féminité dans les compétitions sportives : une histoire classée X ? (Joëlle Wiels)

— Sonia Dayan-Herzbrun et Tassadit Yacine (eds). « Dire les homosexualités d’une rive à l’autre de la Méditerranée ». Tumultes (Mira Younes)

— Arnaud Alessandrin et Yves Raibaud (eds). Géographie des homophobies (Lionel Rougé)

— Catherine Achin et Laure Bereni (eds). Dictionnaire Genre & science politique. Concepts, objets, problèmes (Janine Mossuz-Lavau)

— Tania Angeloff et Marylène Lieber (eds). Chinoises au XXIe siècle. Ruptures et continuités (Gwendoline Debéthune)

— Leonore Davidoff et Catherine Hall. Family Fortunes. Hommes et femmes de la bourgeoisie anglaise, 1780-1850 (Anne Jusseaume)

— Lilian Mathieu. La fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l’abolition de la prostitution (Michèle Greer)

— Anne Monjaret et Catherine Pugeault (eds). Le sexe de l’enquête. Approches sociologiques et anthropologiques (Isabelle Clair)

— Sabrina Sinigaglia-Amadio (ed). Enfance et genre. De la construction sociale des rapports de genre et ses conséquences (Charlotte Debest)

— Florence Weber, Loïc Trabut et Solène Billaud (eds). Le salaire de la confiance. L’aide à domicile aujourd’hui (Paloma Moré)

— Edmée Ollagnier. Femmes et défis pour la formation des adultes. Un regard critique non conformiste (Jacqueline Heinen)

[p. 205-246]

Notes de lecture numéro 58

Résumés

Marine Bretin-Chabrol — Du lait de la nourrice aux alimenta du père nourricier : des liens fragiles dans la Rome impériale

Dans la Rome antique, deux types de liens nourriciers peuvent se nouer autour de l’enfant : le lien avec une nourrice qui allaite l’enfant pour le compte d’autrui, et le lien entre un enfant abandonné et ses parents nourriciers. Ces deux liens placent l’enfant et ces figures nourricières dans des situations de vulnérabilité qui sont partiellement identifiées par les médecins et les juristes d’époque impériale : vulnérabilité physique et morale du nourrisson, vulnérabilité des parents nourriciers face au titre légitime du paterfamilias. Mais la spécificité du rôle de la nourrice, dont le corps et l’affect sont mobilisés et contrôlés par les parents de l’enfant, donne à cette femme (par opposition à son conjoint, qui peut être lui aussi agent des soins dispensés à l’enfant) une position à la fois plus prestigieuse et plus vulnérable, sur les plans physique, affectif et économique.

Rome antique — Nourrice — Enfants — Allaitement — Droit romain — Vulnérabilité

Penelope Deutscher — Reproduction précaire

Cet article soutient que les femmes, considérées du point de vue de leur capacité à agir en matière de reproduction, peuvent être appréhendées comme des incarnations de la vie précaire en plusieurs sens. Elles peuvent d’abord être considérées comme spécialement responsables de formes de vie jugées précaires (comme l’embryon, le fœtus, le nouveau-né, l’enfant). Ensuite, quand leur capacité d’agir en matière de reproduction est contestée (en particulier quand l’avortement est illégal ou difficile d’accès), elles peuvent être exposées de différentes façons à des préjudices, à des torts, voire à la perte de leur vie. Quand il y a précarité dans ces deux premiers sens, la capacité des femmes à faire des choix en matière de reproduction devient elle-même précaire en un sens spécifique. Enfin, en fonction des normes contingentes qui gouvernent les conduites relatives à la reproduction, les femmes sont inégalement intelligibles (legible) en tant que sujet moral. À la ‘production’ du fœtus comme tel correspond ainsi la ‘production’ d’une forme spécifique d’agentivité, et plus précisément la production d’un agent responsable. Pour mettre ce point en évidence, cet article propose de réexaminer la réflexion morale des femmes confrontées à la possibilité d’un avortement, qu’a restituée Carol Gilligan dans In a Different Voice (1993). Il revient également sur les réponses au travail de Judith Butler élaborées par deux théoriciennes féministes, Catherine Mills et Fiona Jenkins, selon lesquelles le concept de vie précaire peut permettre de rendre compte du statut du fœtus, tel qu’il est produit et cadré (framed) par la technologie contemporaine.

Précarité — Reproduction — Avortement — Statut du fœtus — Éthique — Subjectivation — Capacité d’agir

Claude Calame — Chanter les vulnérabilités : des poèmes de Sappho au rap bernois, du modèle choral au paradigme néolibéral

Comparaison inattendue et impertinente sans doute entre un lyric d’une rappeuse bernoise et un poème ‘mélique’ de Sappho. Certes tous deux sont chantés dans une cadence vocale et un rythme corporel qui, en dialecte local, disent un désir, au féminin. Mais au-delà des analogies de surface, la comparaison ne peut être que différentielle. D’un côté donc un corps rendu extérieurement vulnérable par un désir compulsif de consommation pour une esthétique égocentrée ; de l’autre un corps presque anéanti dans ses facultés sensorielles par un désir amoureux incarné dans une force divine et provoqué par une jeune et éclatante beauté. Le rythme du rap contemporain souligne le désir compulsif ; le rythme strophique du poème choral grec marque un accomplissement. Prétexte aussi pour remettre en question, dans le double écart comparatif, nos conceptions partagées de l’homosexualité et du genre.

Antiquité — Poésie — Sappho — Rap — Corps — Vulnérabilité — Érotisme

Stéphanie Daniel-Genc — Femmes au combat : cessent-elles d’être une catégorie vulnérable ?

En vingt ans la proportion de femmes militaires a doublé dans les armées françaises. Paradoxalement, la féminisation de la profession a peu modifié l’image des femmes, qui reste associée à la fragilité. Au contraire, leur intégration met en évidence une tension entre le principe d’égalité — qui plaide pour la féminisation de l’institution militaire — et la vulnérabilité féminine supposée par le droit des conflits — qui octroie aux femmes des dispositions particulières en vue de les protéger. Afin de comprendre le sens et l’articulation de ces deux injonctions contradictoires, cet article se propose d’interroger la notion de vulnérabilité définie par le droit des conflits armés et d’explorer les qualités singulières attribuées aux femmes pour promouvoir leur participation aux opérations militaires.

Femmes et guerre — Conflits armés — Corps — Vulnérabilité — Droit humanitaire — Violences sexuelles — Viols — Rôles sexués

Sandra Bornand — Faire reconnaître sa vulnérabilité : quand les épouses zarma (Niger) quittent le foyer conjugal

Au Niger, dans la société zarma, quand une famille donne sa fille en mariage, elle ne l’abandonne pas pour autant à son sort car, si le mariage lui fait acquérir un prestige social, il la rend aussi vulnérable : elle vit désormais dans la famille de son époux, sous la responsabilité et l’autorité de celle-ci, mais y reste considérée comme une ‘étrangère’. Une épouse mécontente peut quitter son foyer et rentrer chez ses parents. En l’accueillant, ils reconnaissent sa vulnérabilité : ils lui apportent protection, écoutent ses doléances, et peuvent blâmer l’époux indélicat, voire lui demander réparation pour les préjudices subis. La possibilité même de cette ‘fugue’ s’exprime dans les chants de femmes qui rappellent à chacune ses droits et les conditions de l’exercice de ce départ.

Niger — Zarma — Anthropologie linguistique — Littérature orale — Discours — Mariage — Vulnérabilité

Alyson Cole — Verbicide. D’une vulnérabilité qui n’ose dire son nom

Cet article étudie le processus discursif qui a conformé les conceptions contemporaines de la vulnérabilité. Mettant en évidence des tentatives récurrentes de réarticuler la relation entre la victimisation et le blâme, il retrace les usages de l’expression « blâmer la victime » depuis que le sociologue William Ryan l’a forgée en 1970 afin de critiquer l’aide apportée aux populations vulnérables, jusqu’aux campagnes conservatrices contemporaines menées à l’encontre des « politiques victimaires ». Le nœud blâme/victime me conduit également à aborder la victimologie, une science apparue au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et visant à prendre la mesure d’un phénomène de « catalysation victimaire » ; les travaux du psychologue Melvin Lerner, qui ont prouvé que certains individus blâment bel et bien la victime ; les mobilisations féministes à l’encontre du « blâme de la victime de viol », ainsi que l’émergence du Mouvement des droits des victimes. Cette généalogie du travail rhétorique à l’œuvre derrière l’expression « blâmer la victime », et de ses effets dépolitisants, montre comment penser en termes de victimes suppose de plus en plus de se focaliser sur l’utilité thérapeutique du blâme, souvent au détriment des consé­quences matérielles de la victimisation ou de son traitement.

Vulnérabilité — Victimologie — Inégalités — Injustice sociale — Viol — Politiques victimaires

Laurie Laufer — Éclats de mots : pouvoir de la parole et vulnérabilité

Les mots ont un pouvoir double, celui d’être la condition d’une puissance d’agir, et celui de la blessure ou d’une injonction à se taire. Être livré à la violence de l’autre, expérimenter l’impact d’une parole et le pouvoir des mots, c’est reconnaître sa propre vulnérabilité et, en vertu de celle-ci, sa capacité à agir. Le récit de Jane Sautière, Nullipare, permet de mettre en perspective cette vulnérabilité et l’emprise du discours sur le corps féminin. Dans son ouvrage, l’auteure écrit les effets d’un signifiant, nullipare, sur le corps d’une femme qui, par choix, n’a pas porté d’enfant. Qu’est-ce qu’une situation ou une rencontre qui prendrait en compte la vulnérabilité du sujet sans en figer la condition de victime et sans psychologisation ? L’action spécifique de l’« autre secourable » (Nebenmensch)dans le cadre psychanalytique peut régler le jeu de ces vulnérabilités respectives.

Corps — Vulnérabilité — Psychanalyse — Nebenmensch — Nullipare — Puissance D’agir

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Natacha Borgeaud-Garciandía — Trajectoires de vie et rapports de domination. Des travailleuses migrantes à Buenos Aires

Cet article prend appui sur des récits d’employées domestiques et du care à Buenos Aires. Leurs trajectoires sont marquées par la migration, tandis que la place occupée dans la division du travail en Argentine témoigne de l’articulation de divers rapports de domination (sexe, ‘race’, classe). De là, l’analyse porte sur la complexité de ces rapports, tels qu’ils se structurent dans les récits que les sujets offrent de leurs trajectoires de vie. Une première partie situe la problématique dans une conceptualisation des rapports entre dominations et sujets. Une deuxième partie restitue de façon analytique une trajectoire, à même d’illustrer et de mettre en lumière la complexité et la variabilité des rapports entremêlés de la domination sur l’échelle d’une biographie et des représentations auxquelles elle donne lieu.

Employées domestiques — Care — Argentine — Domination — Femmes et migrations

Abstracts

Vulnerable Bodies

Sandra Boehringer and Estelle Ferrarese — Feminism and vulnerability (Introduction)

Marine Bretin-Chabrol — From the Wet Nurse’s Milk to the Alimenta of the Nursing Father: Fragile Bonds in Imperial Rome

In Ancient Rome, there were two types of nursing bonds that could be created around a child: the bond to a wet nurse who breastfed the child on behalf of someone else, and the bond between an abandoned child and its nursing parents. These two bonds placed the child and these nursing figures in vulnerable positions that were partly identified by the doctors and jurists of the imperial period: the physical and moral vulnerability of the infant, and the vulnerability of the nursing parents that did not possess the legitimate title of paterfamilias. But the specificity of the role of the wet nurse, whose body and emotions were called upon and controlled by the child’s parents, put this woman (unlike her spouse, who may also have been an agent in caring for the child) in a position that was at once more prestigious and more vulnerable, in physical, emotional and economic terms.

Ancient Rome — Wet nurse — Children — Breast feeding — Roman law — Vulnerability

Penelope Deutscher — Precarious Reproduction

This paper outlines several senses in which women’s association with reproductive agency becomes an embodiment of precarious life. Women may find themselves considered especially responsible for forms of life deemed precarious (the embryo, the fetus, the newborn, the child). They may also be variably exposed to harm, injury, and loss of life when reproductive agency is contested (in particular, where abortion is illegal or difficult to access). Reproductive choice becomes a distinctive form of precariousness insofar as the first and second senses come to overlap. Moreover, women become differentially legible as moral subjects in the context of the contingent norms for reproductive conduct. The “makingˮ of the fetus is concurrently a “makingˮ of the corresponding agency and responsibilization. Developing this argument, the article offers a reconsideration of moral reflection by women considering abortion in Gilligan’s In a Different Voice (1993) and also of feminist responses to Judith Butler’s work by Mills and Jenkins, according to whom the concept of precarious life may be extended to an analysis of the technologically made, or framed, fetus.

Precariousness — Reproduction — Abortion — The status of the foetus — Ethics — Subjectivation — Agency

Claude Calame — Singing Vulnerabilities: From the Poems of Sappho to Bernese Rap, From the Choral Model to the Neoliberal Paradigm

This article provides an unexpected and doubtless impertinent comparison between the lyrics of a Bernese rapper and a “melic” poem by Sappho. Admittedly, both are sung with a vocal pace and physical rhythm that express, in local dialect, a feminine desire. But beyond these superficial analogies, the comparison can only expose differences. On the one hand, we have a body made externally vulnerable by a compulsive desire for consumption within an egocentric aesthetics; and on the other, a body whose sensorial faculties are almost annihilated by a loving desire embodied in a divine force and sparked by a young, dazzling beauty. The rhythm of the contemporary rap underlines this compulsive desire; the strophic rhythm of the Greek choral poem marks an accomplishment. This comparison also provides an opportunity to call into question, in this double comparative gap, our shared notions of homosexuality and gender.

Antiquity — Poetry — Sappho — Rap — Body — Vulnerability — Eroticism

Stéphanie Daniel-Genc — Women at War: Undoing a Vulnerable Category?

In the past twenty years, the share of women soldiers has doubled in the French armed forces. Paradoxically, the feminisation of the profession has not made much of a change to the dominant representation of women, which continues to associate them with fragility. However, their integration in the armed forces reveals a tension between the principle of equality – which speaks in favour of the feminisation of the military institution – and the feminine vulnerability that is assumed by the law of war – which grants special provisions to women for the purpose of protecting them. In order to understand the meaning and structure of these two contradictory injunctions, this article attempts to interrogate the concept of vulnerability as defined by the law of war, and to explore the unique qualities attributed to women to promote their participation in military operations.

Women and war — Armed conflicts — Body — Vulnerability — Humanitarian law — Sexual violences — Rape — Gendered roles

Sandra Bornand — Having your Vulnerability Recognised: When Zarma (Niger) Wives Leave the Conjugal Home

In Niger, in Zarma society, when a family gives away its daughter to be married, it does not necessarily abandon her to her fate, since, while marriage confers some social prestige to the wife, it also makes her vulnerable: she now lives with her husband’s family, under its responsibility and authority, but is still considered as a “stranger” within it. An unhappy wife can leave her home and return to her parents. By taking her in, they acknowledge her vulnerability: they provide her with protection, listen to her grievances, and can reprove the indelicate husband, or even require compensation for the damages suffered. The very possibility of this “elopement” is expressed in women’s songs, which remind women of their rights and of the conditions required to justify leaving their husband’s homes.

Niger — Zarma — Anthropology — Linguistics — Discourse — Oral Literature — Marriage — Vulnerability

Alyson Cole — Verbicide: The Vulnerability That Dare Not Speak Its Name

This article explores the discursive process that shaped contemporary understandings of vulnerability, highlighting recurrent attempts to rework the relationship between victimization and blame. I trace uses of the phrase “blaming the victim,” from sociologist William Ryan’s 1970 coinage in his critique of efforts to assist vulnerable populations to the contemporary conservative campaigns against “victim politics.” The blame/victim nexus also takes us to the science of victimology that emerged in the aftermath of the WWII to gauge “victim precipitation,” the works of psychologist Melvin Lerner who documented that individuals in fact do blame victims, feminists’ protests against “blaming the rape victim,” and finally the Victims’ Rights Movement. This genealogy of the rhetorical work of the phrase “blaming the victim” and it depoliticizing effects demonstrates how causes formulated in terms of victimhood increasingly concentrate on the therapeutic utility of blaming, often occluding the material consequences of victimization or its remedy.

Vulnerability — Victimology — Inequalities — Social injustice — Rape — Victim politics

Laurie Laufer — Bursts of Words: The Power of Speech and Vulnerability

Words have a double power: that of being the condition of agency, and that of wounding or of being an injunction to keep quiet. Being exposed to the violence of the other, experiencing the impact of a word and of the power of words, is to recognise one’s own vulnerability and, by virtue of it, one’s own capacity to act. Jane Sautière’s memoir, Nullipare, allows us to put into perspective this vulnerability and the influence of discourse on the female body. In her work, the author describes the effects of a signifier, nullipare (childlessness), on the body of a woman who chose not to bear children. What could be the form of a situation or encounter that took into consideration the vulnerability of the subject without fixing her condition as a victim, and without psychologising it? The specific action of the “next person” (Nebenmensch) within a psychoanalytic framework can adjust these respective vulnerabilities.

Body — Vulnerability — Psychoanalysis — Nebenmensh — Nullipara — Agency

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Natacha Borgeaud-Garciandía — Life Trajectories and Relationships of Domination. Migrant Workers in Buenos Aires

This article is based on the narratives of domestic and care workers in Buenos Aires. Their trajectories are marked by migration, while the position they occupy in the division of labour in Argentina bears witness to the structure of various relationships of domination (gender, race, class). On this basis, we analyse the complexity of these relationships, as they are structured in the narratives offered by these subjects about their own life trajectories. In a first section, the article proposes a conceptualisation of the relationship between forms of dominations and subjects. In a second section, it provides an analysis of an individual trajectory that illustrates the complexity and variability of interconnected relationships of domination within the framework of a biography, and it illuminates the representations that are associated with it.

Domestic workers — Care — Argentine — Domination — Women and migration

Resúmenes

Cuerpos vulnerables

Sandra Boehringer y Estelle Ferrarese — Cuerpos vulnerables (Introducción)

Marine Bretin-Chabrol — De la leche de la niñera a los alimenta del padre abastecedor: unos vínculos frágiles en la Roma imperial

En la Roma antigua, dos tipos de vínculos sociales pueden establecerse en torno al niño y a la niña: el vínculo con la niñera que amamanta el niño para cuenta de otra persona, y el vínculo entre un niño abandonado y sus padres adoptivos. Estos dos vínculos colocan al niño∙a y sus figuras abastecedoras en situaciones de vulnerabilidad que son parcialmente identificadas por los médicos y juristas de la época imperial: vulnerabilidad física y moral del niño de pecho, vulnerabilidad de los padres abastecedores frente al título legitimo del paterfamilias. Pero la especificidad del papel de la niñera, cuyo cuerpo y afecto son movilizados y controlados por los padres del niño∙a, otorgan a esta mujer (a diferencia de su cónyuge que puede ser también el agente de la atención para el niño∙a) una posición a la vez más prestigiosa y más vulnerable, en los aspectos físicos, afectivos y económicos.

Roma antigua — Niñera — Niños∙as — Amamantamiento — Derecho romano — Vulnerabilidad

Penelope Deutscher — Reproducción precaria

Este artículo sostiene que las mujeres, consideradas desde el punto de vista de su capacidad de actuar en términos de reproducción, pueden ser aprehendidas como encarnaciones de la vida precaria en varios sentidos. En primer lugar, pueden ser consideradas como especialmente responsables de formas de vida  juzgadas como precarias (como el embrión, el feto, el recién nacido, el niño). Después, cuando su capacidad de actuar en término de reproducción se encuentra discutida (en particular cuando el aborto es ilegal o difícil de acceso), pueden estar expuestas a diferentes formas de prejuicios, a daños, o incluso a la pérdida de su vida. Cuando hay precariedad en esos dos primeros sentidos, la capacidad que tienen las mujeres de hacer elecciones en términos de reproducción la vuelve a ella misma precaria en un sentido específico. En fin, con arreglo a las normas contingentes que gobiernan las conductas relativas a la reproducción, las mujeres no son igualmente inteligibles (legible) como sujeto moral. A la producción del feto como tal, corresponde así la ‘producción’ de una forma específica de agentividad, y más precisamente la producción de un agente responsable. Para poner este punto de relieve, este artículo propone reexaminar la reflexión moral de las mujeres que se enfrentan a la posibilidad de un aborto, y que fue restituida por Carol Gilligan en In a Different Voice (1993). Vuelve igualmente sobre las respuestas al trabajo de Judith Butler elaboradas por dos teóricas feministas, Catherine Mills y Fiona Jenkins, según las cuales el concepto de vida precaria puede permitir rendir cuentas del estatuto del feto, tal como es producido y enmarcado (framed) por la tecnología contemporánea.

Precariedad — Reproducción — Aborto — Estatuto del feto — Ética — Subjetivación — Capacidad de actuar

Claude Calame — Cantar las vulnerabilidades: de los poemas de Safo al rap bernés, del modelo coral al paradigma neoliberal

Comparación inesperada y impertinente sin duda entre un ‘cuplé’ de una rapera bernesa y un poema ‘mélico’ de Safo. Los dos son en efecto cantados en una cadencia vocal y un ritmo corporal que, en el dialecto local, dicen un deseo, al femenino. Pero más allá de las analogías aparentes, la comparación solo puede ser diferencial. De un lado entonces un cuerpo vuelto exteriormente vulnerable por un deseo compulsivo de consumo para una estética ego-centrada; del otro lado un cuerpo casi destruido en sus facultades sensoriales por un deseo amoroso encarnado en una fuerza divina y provocada por una joven y resplandeciente belleza. El ritmo del rap contemporáneo subraya el deseo compulsivo; el ritmo estrófico del poema coral griego marca un cumplimiento. Pretexto también para cuestionar, en la doble diferencia comparativa, nuestras concepciones compartidas de la homosexualidad y del género.

Antigüedad — Poesía — Safo — Rap — Cuerpo — Vulnerabilidad — Erotismo

Stéphanie Daniel-Genc — Mujeres al combate: ¿dejan de ser ellas una categoría vulnerable?

En veinte años la proporción de mujeres militares dobló en los ejércitos franceses. De forma paradójica, la feminización de la profesión modificó poco la imagen de la mujer, quien permanece asociada a la debilidad. Al contrario su integración pone de relieve una tensión entre el principio de igualdad — que justifica la feminización de la institución militar — y la vulnerabilidad femenina supuesta por el derecho de los conflictos — que concede a las mujeres disposiciones particulares con el fin de protegerlas. Para entender el sentido y la articulación de estos dos mandatos contradictorios, este artículo se propone cuestionar la noción de vulnerabilidad definida por el derecho de los conflictos armados y explorar las calidades singulares atribuidas a las mujeres para promover su participación a las operaciones militares.

Mujeres y guerras — Conflictos armados — Cuerpos — Vulnerabilidad — Derecho humanitario — Violencias sexuales — Violaciónes — Papeles sexuados

Sandra Bornand — Hacer reconocer su vulnerabilidad: cuando las esposas zarma (Níger) dejan el hogar conyugal

En el Níger, en la sociedad zarma, cuando una familia da su hija en matrimonio, no la abandona por lo tanto a su suerte, ya que si el matrimonio le hace adquirir un prestigio social, la vuelve también vulnerable: ella vive desde entonces en la familia de su esposo, bajo la responsabilidad y autoridad de aquel, pero continua siendo considerada como ‘extranjera’. Una esposa descontenta puede dejar su hogar y regresar a casa de sus padres. Recogiéndola reconocen su vulnerabilidad: le proporcionan protección, escuchan sus quejas, y pueden sancionar el esposo insensible, incluso pedirle reparación por los perjuicios sufridos. La posibilidad propia de esa ‘fuga’ se expresa en los cantos de las mujeres que recuerdan a cada una sus derechos y las condiciones del ejercicio de esta partida.

Níger — Zarma — Antropología — Lingüística — Discurso — Literatura Oral — Matrimonio — Vulnerabilidad

Alyson Cole — Verbicidio. De una vulnerabilidad que no se atreve a decir su nombre

Este artículo estudia el proceso discursivo que ajustó las concepciones contemporáneas de la vulnerabilidad. Poniendo de relieve las tentativas recurrentes de re-articular la relación entre la victimización y la sanción, vuelve a trazar los usos de la expresión “sancionar a la víctima” desde que el sociólogo William Ryan la forjó en 1970 con el fin de criticar la ayuda proporcionada a las poblaciones vulnerables, hasta las campanas conservadores contemporáneas llevadas a cabo en contra de las “políticas victimarias”. El nudo sanción/victima me conduce igualmente a tratar la victimología, una ciencia aparecida a raíz de la segunda guerra mundial, y con la finalidad de tomar la medida de un fenómeno de “catalización victimaria”; los trabajos del psicólogo Melvin Lerner, que demostraron que ciertos individuos si sancionan a la víctima; las movilizaciones feministas en contra de la “sanción a la victima de violación”, así como la emergencia del Movimiento de los derechos de las víctimas. Esta genealogía del trabajo retórico implicado detrás de la expresión “sancionar a la víctima”, y de sus efectos despolitizantes, muestra como pensar en términos de victimas supone más y más focalizarse sobre la utilidad terapéutica de la sanción, a menudo en detrimento de las consecuencias materiales de la victimización o de su tratamiento.

Vulnerabilidad — Victimología — Desigualdades — Injusticia social — Violación — Políticas victimarias

Laurie Laufer — Astillas de palabras: poder de la palabra y vulnerabilidad

Las palabras tienen un poder doble, aquel de ser la condición de una potencia para actuar, y aquel de la herida o de un mandato de callarse. Estar entregado a la violencia del otro, experimentar el impacto de una palabra y el poder de las palabras, es reconocer su propia vulnerabilidad y, en virtud de aquella, su capacidad de actuar. El relato de Jane Sautière, Nullipare, permite poner en perspectiva esa vulnerabilidad y la influencia de un discurso sobre el cuerpo femenino. En su trabajo, la autora escribe los efectos del significante, nullipare, sobre el cuerpo de una mujer quien, por elección, no ha tenido un niño∙a. ¿Qué es una situación o un encuentro que tomaría en cuenta la vulnerabilidad del sujeto sin fijar su condición de víctima y sin psicologizacion? La acción específica del “otro socorrible” (Nebenmensch) en el marco psicoanalítico puede arreglar el juego de esas vulnerabilidades respectivas.

Cuerpo — Vulnerabilidad — Psicoanálisis — Nebenmensch — Nullipare — Potencia para actuar

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Natacha Borgeaud-Garciandía — Trayectorias de vida y relaciones de dominación. De lastrabajadoras migrantes en Bueno Aires

Este artículo se apoya sobre relatos de empleadas domesticas y del care en Buenos Aires. Sus trayectorias son marcadas por la migración, mientras el lugar ocupado en la división del trabajo en Argentina demuestra la articulación de diversas relaciones de dominación (sexo, ‘raza’, clase). De allí, el análisis trata de la complejidad de esas relaciones, tales como se estructuran en los relatos que los sujetos ofrecen de sus trayectorias de vida. Una primera parte ubica la problemática en una conceptualización de las relaciones entre dominaciones y sujetos. Una segunda parte restituye de forma analítica une trayectoria que puede ilustrar y aclarar la complejidad y variabilidad de las relaciones entremezcladas de la dominación a escala de una biografía y de las representaciones a las cuales dieron lugar.

Empleadas domésticas — Care — Argentina — Dominación — Mujeres y migraciones

Auteur•es

Sandra Boehringer est maîtresse de conférences en histoire grecque à l’Université de Strasbourg, membre du laboratoire Archimède (Archéologie et Histoire, Europe-Méditerranée, UMR 7044) et membre associée du laboratoire Anhima (Anthropologie et histoire des mondes antiques, UMR 8210). Ses recherches portent sur le genre et la sexualité dans l’Antiquité, sur les pratiques poétiques et discursives en Grèce et à Rome et, dans une perspective de comparaison des cultures, sur l’éclairage que l’analyse des sociétés anciennes peut apporter sur notre modernité. Elle a notamment publié :
— (2007). L’homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine. Paris, Les Belles lettres.
Elle a dirigé, avec Violaine Sebillotte Cuchet :
— (2013). « Des femmes en action. L’individu et la fonction en Grèce ancienne ». Mètis, hors-série.

Natacha Borgeaud-Garciandía est sociologue au Consejo Nacional de Investigaciones Científicas y Técnicas (CONICET) / Facultad Latinoamericana de Ciencias Sociales (FLACSO) – Argentine, et membre associée à l’UMR 201 « Développement et Sociétés » (IEDES-Paris 1/IRD). Ses principaux thèmes de recherche portent sur les rapports entre travail, subjectivité et dominations, dans des emplois précaires essentiellement occupés par des femmes (ouvrières, employées domestiques et du care) en Amérique latine. Elle est l’auteure de :
— (2009). Dans les failles de la domination. Paris, Presses universitaires de France.
Elle a coordonné, avec Isabel Georges :
— (2014). « Travail, femmes et migrations dans les Suds ». Revue Tiers Monde, nº 217, janvier-mars.

Sandra Bornand est chercheure au CNRS et membre du laboratoire Langage, Langues et Cultures d’Afrique Noire. Elle travaille depuis 1994 sur la société zarma du Niger, où elle a effectué de nombreux séjours (d’un mois à un an). Ses recherches portent principalement sur la littérature orale zarma (celle détenue par les griots généalogistes et historiens, comme celle des femmes) et l’anthropologie linguistique. Elle a notamment publié :
— (2005). Le discours du griot généalogiste chez les Zarma du Niger. Paris, Karthala.
— (2013). Anthropologie des pratiques langagières (avec Cécile Leguy). Paris, Armand Colin.

Marine Bretin-Chabrol est maître de conférence en langue et littérature latine à l’Université Jean Moulin-Lyon 3, membre du laboratoire HiSoMa et de l’atelier Efigies-Antiquité (Paris). Ses recherches portent notamment sur la parenté et ses représentations dans la société romaine d’époque classique, dans une perspective anthropologique, éclairée par la sémantique, la littérature et le droit romain. Elle est l’auteure de :
— (2012). L’arbre et la lignée. Métaphores végétales de la filiation et de l’alliance en latin classique. Grenoble, Jérôme Millon.
— (2012). « Le nutritor : une nourrice au masculin dans la Rome impériale ? » Lalies, n° 32.

Claude Calame est directeur d’études émérite à l’EHESS. Il propose des textes grecs une approche combinant anthropologie historique et analyse des discours. Ce regard décentré invite aux engagements politiques (au sens grec) sur la fabrication culturelle et sociale de l’humain, dans le présent. Parmi ses publications :
— (2009). L’Éros dans la Grèce antique. Paris, Belin.
— (2010). Prométhée généticien. Profits techniques et usages de métaphores. Paris, Les Belles lettres
— (2011). Mythe et histoire dans l’Antiquité grecque. La création symbolique d’une colonie. Paris, Les Belles lettres (2e éd.).

Alyson Cole est professeure associée de science politique et d’études de genre au Queens College et au Graduate Center de la City University of New York. Ses recherches se situent au carrefour de la théorie politique et des études américaines. Elles articulent des thématiques centrales de la pensée politique — théories de la justice, nature de l’assujettissement, possibilité de la résistance ou du changement — à une réflexion sur la rhétorique et la production du droit ou des politiques publiques, centrée sur la construction subjective, le genre, la race et l’ethnicité. Elle a publié des articles dans les revues Signs, American Studies, Feminist Studies, The Michigan Law Review, et dans le National Women’s Studies Association Journal. Elle est aussi l’auteure de :
— (2007). The Cult of True Victimhood: From the War on Welfare to the War on Terror. Stanford, Stanford University Press.

Stéphanie Daniel-Genc est chargée de mission à la Direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère de la Défense. Rapporteure de la Commission du Livre blanc sur la défense de 2008, elle étudie depuis plusieurs années les enjeux humanitaires des crises et les relations civilo-militaires à l’appui de son expérience personnelle de femme militaire et de ses observations de terrain sur la vulnérabilité humaine (Asie du Sud-Est, Haïti, Méditerranée).

Penelope Deutscher est professeure au Département de philosophie de la Northwestern University (Ilinois), où elle codirige le Groupe de théorie critique. Ses travaux sont centrés sur la philosophie française au XXe siècle et sur la philosophie du genre. Elle a étudié à Paris avec Sarah Kofman (DEA, Université Paris 1) avant d’obtenir son PhD à la University of New South Wales (Sydney) sous la direction de Genevieve Lloyd. Parmi ses autres domaines d’intérêt figurent les théories de la généalogie et des biopolitiques (Nietzsche, Foucault, Agamben). Elle a notamment publié :
— (2008). The Philosophy of Simone de Beauvoir: Ambiguity, Conversion, Resistance. Cambridge, Cambridge University Press.
Elle a codirigé, avec Françoise Collin :
— (2004). Repenser le politique : l’apport du féminisme. Campagne première / Les Cahiers du Grif.

Estelle Ferrarese est professeure à l’Université de Strasbourg où elle enseigne la théorie sociale et politique. Elle est actuellement en délégation CNRS au Centre Marc Bloch à Berlin. Son habilitation à diriger des recherches en philosophie, soutenue en 2010, portait sur « Le vulnérable et le politique. Une théorie critique de l’intersubjectivité ». Outre sur la vulnérabilité comme objet politique, ses travaux portent sur les luttes pour la reconnaissance, les théories de la démocratie, de l’État de droit et de l’espace public ; la théorie critique, et bien sûr sur le genre. Elle a notamment publié :
— (2013). Qu’est-ce que lutter pour la reconnaissance ? Lormont, Le Bord de l’Eau « Diagnostics ».
— (2014). Éthique et politique de l’espace public. Habermas et la discussion. Paris, Vrin « La vie morale ».

Laurie Laufer est psychanalyste et professeure de psychopathologie clinique à l’Université Paris Diderot / Paris 7. Elle est directrice de recherche au sein du laboratoire « Centre de recherches Psychanalyse, Médecine et Société » (CRPMS, EA3522) et responsable de l’axe « Genre, normes et psychanalyse ». Elle est coresponsable de l’action structurante « PluriGenre » de l’Université Paris Diderot. Auteure de nombreux articles sur les questions de psychanalyse et genre, elle a récemment codirigé :
— (2014). Qu’est-ce que le genre ? (avec Florence Rochefort). Paris, Petite Bibliothèque Payot.
— (2015). Foucault et la psychanalyse (avec Amos Sqverer). Paris, Hermann.

Cahiers du Genre n°58/2015

avril, 270 p.

ISSN  1165-3558
ISBN 978-2-343-06122-1