Précarisation et citoyenneté

Coordonné par Béatrice Appay, Jacqueline Heinen et Christian Léomant

Introduction

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Sommaire

Dossier

Béatrice Appay, Jacqueline Heinen, Christian Léomant
Introduction [p. 5-13]

Bérengère Marques-Pereira
Citoyenneté, programmes sociaux et organisations de femmes dans le Cône Sud [p. 15-27]

Fiona Williams
Genre, ethnicité, race et migrations : ou les défis de la citoyenneté en Europe [p. 29-42]

Nicole Sotteau-Léomant, Christian Léomant
Des jeunes femmes face aux discriminations sociales [p. 43-63]

Blandine Veith
Femmes immigrées : de l’implication associative à la dynamique de travail [p. 65-85]

Béatrice Appay
Femmes au chômage : entre révolte et résistance [p. 87-108]

Alain Pichon, Michel Bitard, Elisabeth Faure
Hommes et femmes cadres : de la précarisation du travail aux arrangements structurels de la solidarité familiale [p. 109-122]

Ute Gerhard
Droit et principe d’égalité [p. 123-141]

Comptes rendus

— François Eymard-Duvernay, Emmanuelle Marchal. Façons de recruter : le jugement des compétences sur le marché du travail (Pierre Tripier)

— Sylviane Agacinski. Politique des sexes (Pascale Molinier)

— Jane Jenson et Mariette Sineau (eds). Qui doit garder le jeune enfant ? (Jacqueline Heinen)

[p. 143-148]

Comptes rendus numéro 23

Résumés

Bérengère Marques-Pereira — Citoyenneté, programmes sociaux et organisations de femmes dans le Cône Sud

La citoyenneté sociale dans le Cône Sud de l’Amérique latine est appréhendée sous l’angle de la construction d’un acteur social féminin. Cette construction se forge dans une relation des femmes à l’État qui se déploie à travers les programmes sociaux et les organisations locales. L’article s’attache à en mettre en lumière les écueils et les enjeux. En effet, un renouveau du clientélisme et du paternalisme guette les programmes sociaux de « solidarité avec les pauvres » ou de « lutte contre la pauvreté », même si les revendications de droits sociaux vont de pair avec un civisme local. Il n’en demeure pas moins vrai que la citoyenneté des femmes repose sur un processus d’individuation indispensable à une rupture avec les différentes mises sous tutelle toujours à l’œuvre dans les rapports sociaux de sexe et les rapports sociaux clientélistes.

Fiona Williams — Genre, ethnicité, race et migrations. Ou les défis de la citoyenneté en Europe

Cet article analyse la construction de la citoyenneté dans le contexte de l’Union européenne à partir d’une lutte menée par les « Femmes noires et immigrées » selon le nom qu’elles donnent à leur groupe, pour l’obtention des droits civils, politiques et sociaux. Il se propose de montrer comment cette lutte met en lumière les limites des discours européens sur la citoyenneté.

Nicole Sotteau-Léomant, Christian Léomant — Des jeunes femmes face aux discriminations sociales

Les itinéraires de vie de jeunes femmes résidant dans un bassin d’emploi fortement touché par les restructurations industrielles montrent comment la discrimination de genre s’enchevêtre et se cumule avec d’autres formes de discrimination, voire d’exclusion, notamment par rapport au travail salarié. Ils rendent compte de la violence sociale qui leur est faite parce qu’elles sont femmes d’abord, parce qu’elles sont jeunes aussi, et puis, selon chacune d’elles, parce qu’elles sont mères, parce qu’elles résident dans telle ou telle ville stigmatisée, parce qu’elles portent, pour certaines, un nom qui sonne l’immigration maghrébine ou africaine. Cette violence est une atteinte à ce qui constitue cette identité sexuée qu’elles affirment et qui sous-tend leurs pratiques de résistance et leurs initiatives pour obtenir les conditions nécessaires à une vie hors de la précarité et les droits permettant l’exercice de la citoyenneté.

Blandine Veith — Femmes immigrées : de l’implication associative à la dynamique de travail

Les femmes primo-migrantes qui vivent dans des banlieues populaires sont parmi les catégories les plus touchées par la précarisation sociale. Certaines d’entre elles tentent de créer des collectifs de travail, soutenus par des associations multiculturelles de femmes. Qui sont ces immigrées ? Quelles ressources mobilisent-elles ? Les associations sont des espaces où elles peuvent construire un devenir féminin autonome, solidaire et citoyen ; un espace intermédiaire entre la sphère privée et la sphère publique ; un espace où elles tentent de résister à la précarisation sociale sans échapper totalement à son étau puisque les emplois et les entreprises associatives restent précaires.

Béatrice Appay — Femmes au chômage : entre révolte et résistance

La précarisation atomise, divise, segmente, déstructure les solidarités. La mise à mal des liens familiaux et des collectifs de travail, le retrait syndical en sont des exemples frappants. De là, à associer précarisation et individualisme, il n’y a qu’un pas. Pourtant, l’ampleur et l’intensité des mouvements sociaux de 1995, le mouvement des chômeurs ainsi que leur soutien populaire, cadrent mal avec cette idée. L’hypothèse est donc que la précarisation sociale, en tant que processus structurel de fragmentation, institutionnalise l’instabilité mais engendre aussi des comportements de résistance et solidarité, où les femmes tiennent une place importante. Trois récits de vie de femmes frappées par le chômage vont aider à comprendre ce paradoxe et permettre d’étayer une autre hypothèse : la précarisation sociale, en se généralisant et en s’approfondissant, génère aussi une condition commune dont la conscience individuelle et collective commence à apparaître.

Alain Pichon, Michel Bitard, Elisabeth Faure — Hommes et femmes cadres. De la précarisation du travail aux arrangements structurels de la solidarité familiale

Avec les mutations du système productif français, les cadres, techniciens et ingénieurs, toutes catégories d’âge confondues, sont touchés par la précarisation du travail. Les représentations du travail et du hors-travail se transforment chez des hommes cadres tandis que le travail se renforce comme un acquis inaliénable chez les femmes cadres. De cette double évolution, il résulte une restructuration de la vie familiale marquée par un nouveau partage des rôles, par une double solidarité à la fois familiale et financière. Finalement, trois configurations remarquables se distinguent, par la division sexuelle du travail qui les caractérise et par les capacités d’adaptation au contexte de précarisation qu’elles recèlent.

Ute Gerhard — Droit et principe d’égalité

À propos du débat féministe sur le thème égalité/différence, l’auteure propose une approche dynamique du concept d’égalité. Dans la tradition juridique européenne, le principe d’égalité, bien que sans cesse contesté, n’a jamais été synonyme du terme identité et suppose au contraire que les personnes ou les objets comparés soient différents. Le fait d’assimiler l’égalité à l’identité renvoie au contexte américain, distinct sur le plan légal, et c’est une démarche trompeuse, comme le montre l’article. Les théories féministes postmodernes en matière de droit sont critiquées car elles négligent les disparités de contexte et la dynamique historique. Il est évident que les mouvements sociaux, et surtout le mouvement des femmes, ont joué un rôle majeur en donnant un sens nouveau au concept d’égalité. L’Allemagne en offre un exemple, l’accent étant mis ici sur la distinction entre droit et morale et sur ce que signifie la garantie constitutionnelle de l’égalité.

Abstracts

Bérengère Marques-Pereira — Citizenship: Social programmes and women’s organisations in the Southern Cone

Social citizenship in the Southern Cone is looked at from the point of view of the modelling of women as a social actor. This modelling takes place in a relationship between women and the state which takes shape through social programmes and local organisations. This article highlights both the pitfalls and what is at stake. A renewal of clientelism and paternalism threatens the social programmes of “solidarity with the poor” or “the struggle against poverty”, even if the demands for social rights go alongside social civism. It remains nonetheless true that women’s citizenship rests on a process of individualisation, necessary to break with the different forms of guardianship inherent in gender relations and clientelist social relations.  

Fiona Williams — The challenge of gender, ethnicity, race and migration to citizenship in the European Union

This paper looks at the construction of citizenship within the European Union through a case study of a struggle by a (self-named) group of black and migrant women for civil, political and social rights. The paper demonstrates how this struggle exposes the circumscribed ways in which discourses of citizenship operate within the EU.

Nicole Sotteau-Léomant Christian Léomant — Young women facing social discrimination

The experiences of several young women living in an area which has been strongly affected by industrial restructuing show how gender discrimination intertwines with and sharpens other forms of discrimination, not to say exclusion, notably in relation to waged work. They talk about the social violence which they experience because they are first and foremost women, because they are mothers, because they live in this or that badly-considered town, because, for some of them, they have names which reflect North African or Black African immigration. This violence is an attack on the gendered identity which they affirm and which underlies their fightback and their initiatives in the struggle to obtain the conditions necessary for a life without precarity and for the rights which make it possible to exercise their citizenship.

Blandine Veith — Immigrant women: From involvement in associations to the work dynamic

The first generation immigrant women who live in the popular suburbs are among the layers the hardest hit by social precarity. Some of them attempt to create work collectives, supported by multi-cultural women’s associations. Who are these immigrants? What resources do they mobilise? Associations are places where they can build an independent, citizen’s future of solidarity; an intermediary space between the private sphere and the public sphere, a space where they can try to fight back against social precarity without totally escaping from its grip because the jobs and enterprises created by associations remain temporary.

Béatrice Appay — Unemployed women: From revolt to resistance

Casualisation atomises, divides, fragments and destructures soldiarity networks. The disorganisation of family links, of collective work organisation, the decline in trade unions, are striking examples of this. To go from there to the association of casualisation and individualism is just a step. However the scope and intensity of the social movements of 1995 and the unemployed moment do not fit very well with this idea. The hypothesis is therefore that social precarity, as a structural process of fragmentation, insitutionalises instability but also creates forms of resistance and solidarity in which women have an important role. The experiences of three women affected by unemployment help in understanding this paradox and make it possible to develop another hypothesis: social precarity, as it becomes more general and deeper, will also generate a common situation of which people will begin to become individually and collectively conscious.

Alain Pichon, Michel Bitard, Elisabeth Faure — Women and men managers: From the casualisation of work to strucutral arrangements of family solidarity

With the changes in the French productive system, managers, technicians and engineers, of all age groups, are affected by the casualisation of work. The image of “at work” and “away from work” are changing for male executives while the notion of employment as an inalienable gain of women is strengthening for women executives. From this dual evolution comes a new organisation of family life marked by a new division of roles and a dual solidarity, both familial and and financial. Finally three forms of organisation emerge, remarkable in the sexual division of labour which characterises them and by their ability to adapt to their context of casualisation.

Ute Gerhard — Feminism and the law. Towards a feminist and contextualized concept of equality

On the background of the feminist debate on equality and/or difference the author argues for a contextualized and dynamic understanding of equality. In the long tradition of European juridical discourse the equality principle, though always contested, never meant sameness but presupposes that the persons or quantities being compared are different. Assimilating equality with sameness is derived from a different legal framework (the American one) and therefore misleading, as shown here. The postmodern feminist theories of law are criticized because they neglect differing contexts and the dynamics of history. It is obvious that social movements, particularly the women’s movement played a crucial role in defining a new understanding of equality. In this respect, the German institutional framework is discussed underscoring the distinction between rights and morals und the meaning of a constitutionally guaranteed equality.

Resúmenes
Auteur•es

Béatrice Appay est sociologue, chercheure au CNRS, membre du GEDISST. Ses recherches portent sur l’autonomie contrôlée et la précarisation sociale, les restructurations économiques ainsi que les conditions de vie et de travail des femmes.
— (1997). « Restructurations productives et précarisation sociales ». In Appay Béatrice, Thébaud-Mony Annie (eds) La précarisation sociale, travail et santé. Paris. IRESCO-CNRS
— (1998). Appay Béatrice « Economic concentration and the externalization of labour ». Economic and Industrial Democracy, vol. 19.

Michel Bitard est normalien, agrégé de sciences sociales. Après avoir dirigé pendant onze ans le département des sciences sociales de l’École normale supérieure de Cachan, il a été affecté à l’université d’Evry-Val d’Essonne où il enseigne la sociologie. Membre du laboratoire DTT – Centre Pierre Naville, ses recherches actuelles portent sur les classes moyennes, les mutations des temporalités, la création des normes, et sur le repos dominical.

Elisabeth Faure est diplômée en psychosociologie (DESS) et en sociologie du travail (DEA), actuellement en thèse de doctorat sur les processus de précarisation, elle est chargée d’études sur « la gestion des incertitudes de l’emploi par les cadres, techniciens et ingénieurs d’Evry-Corbeil » au Laboratoire Pierre Naville ; elle est également chargée de travaux dirigés à l’Université d’Evry Val d’Essonne.

Ute Gerhard est professeure de Sociologie et directrice du Centre d’études féminines à l’université de Frankfurt/Main. Elle est spécialiste dans les domaines du droit, des sciences sociales et de l’histoire. Ses travaux portent sur les droits des femmes, les politiques sociales, l’histoire des femmes et du mouvement de femmes, la théorie féministe. Parmi ses dernières publications :
— (1990). Unerhört. Die Geschichte der deutschen Frauenbewegung, Reinbek (Histoire du mouvement des femmes allemand).
— (1997). Frauen in der Geschichte des Rechts. Von der Frühen Neuzeit bis zur Gegenwart. München (Les femmes dans l’histoire du droit. Des débuts des temps modernes à l’époque présente).

Jacqueline Heinen est sociologue, professeure des Universités et directrice des Cahiers du Gedisst. Elle est membre du GEDISST. Ses recherches portent sur l’emploi, les politiques sociales et la citoyenneté, plus particulièrement en Europe de l’Est.
— (1995). Chômage et devenir de la main-d’œuvre féminine en Pologne. Le coût de la transition. Paris. L’Harmattan.
— (1996). Quelle citoyenneté pour les femmes ? La crise des États-providence et de la représentation politique (avec A. Del Re, eds). Paris. L’Harmattan.

Christian Léomant est sociologue, chercheur au CNRS, membre du GEDISST. Ses recherches portent sur la précarisation sociale et ses effets sur les trajectoires familiales, les modes de régulation socio-judiciaires et les pratiques des professionnels du social.
— (1995). « ‘Jeunes’ et constellations familiales. Situations de précarité, mouvances et morcellements ». CRIV. col. Travaux de Recherche, n° 12.
— (1997). Avec Appay B. et Veith B. « Précarisation salariale et précarisation familiale. Réflexions méthodologiques ». Rapport de recherche intermédiaire : Convention CNAF/CNRS. Paris.

Bérengère Marques-Pereira est professeure de science politique à l’université Libre de Bruxelles, et dirige le Centre d’études latino-américaines de l’Institut de sociologie. Ses recherche portent sur la citoyenneté sociale et politique, dans le Cône Sud et en Belgique.
— (1996). B. Marques-Pereira, A. Carrier, (eds) La citoyenneté sociale des femmes au Brésil. Paris. L’Harmattan.
— (1998). B. Marques-Pereira (ed) « Femmes dans la Cité, Amérique latine et Portugal ». Sextant, n° 8.

Alain Pichon est diplômé de l’Institut de formation aux carrières sociales et de sociologie du travail (DEA). Enseignant dans le secondaire, il devient chargé d’études sur « la gestion des incertitudes de l’emploi par les cadres, techniciens et ingénieurs d’Evry-Corbeil » au laboratoire Pierre Naville, puis chargé d’enseignement de sociologie à l’université d’Evry-Val d’Essonne. Ses recherches actuelles (thèse de doctorat) portent sur les nouvelles normes du travail et de l’emploi chez les cadres techniciens et ingénieurs.
— (1998). « les chemins de la précarité : cadres, techniciens, ingénieurs entre résignation et anticipation ». Les Cahiers d’Evry. Centre P. Naville. Octobre.

Nicole Sotteau-Léomant est sociologue, ingénieure de recherche au CNRS, membre du GEDISST. Ses recherches portent sur la précarisation sociale et ses effets sur les trajectoires familiales, les modes de régulation socio-judiciaires et les pratiques des professionnels du social.
— (1996). « Démarche de connaissance et déontologie du sociologue dans une approche biographique ». In Feldman Jacqueline et al. Ethique, Epistémologie et Sciences de l’Homme. Paris. L’Harmattan, col. Logiques Sociales.
— (1997). Avec Appay B. et Veith B., « Précarisation salariale et précarisation familiale. Réflexions méthodologiques ». Rapport de recherche intermédiaire : Convention CNAF/CNRS. Paris.

Blandine Veith est sociologue, ingénieure de recherches en sciences sociales au GEDISST-CNRS. Ses recherches actuelles portent sur les associations multiculturelles de femmes immigrées, implantées dans les banlieues et qui soutiennent des créations de collectifs de travail.
— (1994). « Un réfugié politique enraciné en Beauce ». Études rurales, Juillet-décembre, n° 135-136.
— (1997). Avec Appay B., Léomant C., Sotteau-Léomant N., « Précarisation salariale et précarisation familiale. Réflexions méthodologiques ». Rapport intermédiaire de la convention CNAF-CNRS. Paris. GEDISST.

Fiona Williams est professeure à l’université de Leeds où elle enseigne les politiques sociales, et elle est directrice adjointe du Center for Interdisciplinary Gender Studies. Ses travaux portent sur les politiques sociales et les changements sociaux en termes de race, de genre, de classe et de handicaps.
— (1989). Social Policy: A Critical Introduction. Issues of Race, Class and Gender. Cambridge. Polity Press.
— (1999). Welfare Research: A critical Review (avec J. Popay et A. Oakley) (eds). London. UCL Press.
Elle termine actuellement New Principles for Welfare (à paraître chez Polity Press).

Cahiers du Genre n°23/1998

160 p.

ISSN  1165-3558 – ISBN 2-7384-7572-8