Genre et techniques domestiques

Coordonné par Danielle Chabaud-Rychter

Introduction

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Sommaire

Dossier

Danielle Chabaud-Rychter
Introduction [p. 5-13]

Cynthia Cockburn
Les techniques domestiques ou Cendrillon et les ingénieurs [p. 15-35]

Susan Ormrod
Genre et pratiques discursives dans la création d’un nouveau mode culinaire [p. 37-62]

Danielle Chabaud-Rychter
L’industriel et le domestique dans la conception d’appareils électroménagers [p. 63-96]

Anne-Jorunn Berg
Peur, amour et technique : ambiguïtés et ambivalences des femmes [p. 97-121]

Jacqueline Coutras, Jean-Louis Lacascade
À propos des technologies domestiques : quand les mères parlent de liberté et les filles d’indépendance
[p. 123-145]

Comptes rendus

— Knibiehler Yvonne. La révolution maternelle depuis 1945. Femmes, maternité, citoyenneté (Arlette Gautier)

— Nancy Folbre. De la différence des sexes en économie politique (Anne Bustreel)

— Nira Yuval-Davis. Gender & Nation (Hélène Le Doaré)

— Catherine Bidou Zachariasen. Proust Sociologue (Alain Suied)

— Evelyne Tardy, Manon Tremblay, Ginette Legault. Maires et mairesses. Les femmes et la politique municipale (Angelo Soares)

[p. 147-157]

Comptes rendus numéro 20

Résumés

Cynthia Cockburn — Les techniques domestiques ou Cendrillon et les ingénieurs

On reconnaît rarement aux techniques domestiques leur importance réelle, — et ce « on » désigne aussi bien l’ingénieur que le sociologue — en partie parce que ce qui est féminin, ce qui relève de la sphère privée est sous-évalué. À partir de travaux féministes récents, cet article analyse l’échec des concepteurs et des fabricants à comprendre et à répondre aux besoins des usagers. Il montre comment, ni en Europe de l’Est, ni en Europe de l’Ouest, on n’a su concevoir des équipements domestiques, dans le cadre de systèmes technologiques appropriés, comme interfaces sensibles entre la maison, la société civile et l’environnement. La sociologie des techniques, nous le montrerons, a aussi négligé les techniques de la vie quotidienne sans voir qu’elles étaient le point de départ logique d’une politique technologique.

Susan Ormrod — Genre et pratiques discursives dans la création d’un nouveau mode culinair

L’article qui suit porte sur la dynamique des interactions entre rapports de genre et rapports techniques. S’appuyant sur une étude qui a trait à la cuisine au micro-ondes, il met en évidence l’existence de rapports spécifiques entre hommes et femmes, d’ordre à la fois technique et sexué. La transformation du micro-ondes, « produit brun » initialement perçu comme un objet technique de pointe, en « produit blanc » assimilé à un appareil électroménager banal, s’est en effet accompagnée d’une redéfinition sexuée du rôle des acteurs, tant au niveau de la production que de la commercialisation et de l’utilisation. Par là même, ce déplacement a favorisé la reproduction de la hiérarchie de genre dans les rapports à la technologie.

Danielle Chabaud-Rychter — L’industriel et le domestique dans la conception d’appareils électroménagers

Les innovateurs inscrivent dans les objets techniques destinés à des usages domestiques une dichotomie entre la « surface » — comportant les commandes, les accessoires, les marquages… — qui est mise à la disposition de l’usager, et « l’intérieur » où est enfermé hors d’accès tout ce qui permet le fonctionnement de la machine : motorisation, mécanismes, contrôles électroniques. Ce mode de conception peut être lu comme une « détechnicisation » des machines destinées au travail domestique et on peut se demander, en continuité avec les féministes travaillant sur la construction sociale des techniques, s’il s’agit là d’un processus de sexuation des objets techniques destinés aux femmes. En observant, au jour le jour, le travail d’une équipe de conception d’une entreprise de petit électroménager, j’ai tenté de comprendre ce que font exactement les innovateurs quand ils dichotomisent les objets techniques : comment ils établissent la frontière entre l’intérieur et l’extérieur, déterminent ce qui doit être caché à l’usager, ce à quoi il doit avoir accès et de quelle manière ; comment ils travaillent sur les parties internes et externes, où intervient la prise en considération du sexe des usagers, et sous quelles formes.

Anne-Jorunn Berg — Peur, amour et technique : ambiguïtés et ambivalences des femmes

Les femmes sont peu visibles dans les techniques de l’information et de la communication. Mais peut-on expliquer cette invisibilité par leur peur de la technique ? C’est en tout cas une explication souvent admise dans les débats publics. Cet article présente l’étude détaillée du récit que fait une femme de son expérience avec le Minitel. Il semblerait, à première vue, que la crainte est bien ce qu’elle éprouve dans sa relation avec la technique. Pourtant, une analyse minutieuse de ses interactions avec la technique dans le contexte de la vie quotidienne montre que le concept de peur est inadéquat. À son tour, cette analyse met en lumière la question de la méthodologie : comment faut-il explorer la complexité ? En effet, la façon dont cette femme décrit ses liens avec un certain nombre de techniques révèle la complexité du rapport existant entre le genre et la technique, de leur enchevêtrement. Il est particulièrement intéressant de voir comment elle négocie les significations de ce rapport. L’analyse du récit de son expérience avec la technique me conduit à développer les implications théoriques du déterminisme technologique dans la construction du genre comme différence.

Jacqueline Coutras, Jean-Louis Lacascade — À propos des technologies domestiques : quand les mères parlent de liberté et les filles d’indépendance

Jeunes Parisiennes des années cinquante, jeunes Parisiennes des années quatre-vingt. Deux générations. Deux contextes socioculturels. Une même lignée. Beaucoup sépare les mères et les filles, et pourtant… La mère, comme la fille, cherchent à donner d’elles-mêmes une image de femme « indépendante » qui sait sortir de chez elle, dont l’univers dépasse le logement et les préoccupations familiales et domestiques. Dans cette ouverture sur l’extérieur, l’usage d’une voiture lui a été d’une grande aide, mais aussi celui d’un lave-linge et d’un réfrigérateur. Aujourd’hui, pour décharger sa fille, la grand-mère reçoit et garde ses petits-enfants. Mais elle veut poser des bornes à l’aide qu’elle apporte à sa fille, car elle aussi entend s’assurer une vie « autonome » — autonome de celle du mari, de celle de ses enfants. Elle aussi cherche une socialisation extérieure.

Abstracts

Cynthia Cockburn — Domestic technologies: Cinderella and the engineers

Domestic technologies are seldom accorded their true significance either by engineers or sociologists, partly due to an undervaluing of the feminine and the private sphere. Drawing on recent feminist research the article examines the failure of designers and manufacturers to understand and respond to user needs. It shows how in neither Eastern nor Western Europe has domestic equipment been designed thoughtfully within appropriate technological systems, as a sensitive interface between household, community and environment. The sociology of technology too is shown to have neglected the technologies of everyday life, rather than seeing them as the logical starting point of a technology policy.

Susan Ormrod — Discursive practices of gender in the creation of a new cooking process

The following article considers the interactions between gender relations and technical relations. Based on research concerning micro-wave ovens, it brings out the existence of specific relations between women and men that are both technical and gendered. The transformation of the microwave oven from a “brown product”, intially considered as a high technology item, to a “white product” like any other domestic appliance, has in fact been accompanied with a gendered redefinition of the role of the agents, as much at the level of production as of commercialisation and utilisation. In the same way this change has encouraged the reproduction of a gender hierarchy in relation to technology.

Danielle Chabaud-Rychter — Industrial and domestic aspects in the conception of domestic appliances

In the conception of technical objects for domestic use there exists a dichotomy between the “surface” – including the control panels, the accessories, the instructions – which is for the use of the consumer – and the “interior” where everything which enables the machine to function – motorisation, mechanism, electronic controls – is closed to their access. This type of conception can be considered as a “detechnicalisation” of machines destined for domestic use and we can wonder, as do the feminists working on the question of the social construction of techniques, if this is in fact a gendering of technical objects intended for use by women. Through daily observation of a research and development team for small domestic appliances, I have tried to understand exactly what they do when they introduce this dichotomy into technical objects: how do they establish the boundary between the interior and the exterior, decide what should be hidden from the consumer, to what s/he should have access, and how and at what point they consider the sex of the consumer.

Anne Jorunn Berg — Fear, love and technology: Female ambiguities and ambivalences

Can women’s invisibility in relation to new information and communication technologies be accounnted for in terms of female techno-fear? This is often a taken for granted assumption in bublic discussions. This article contains a detailed study of one woman’s account of her experience with Minitel technology? At first sight techno-fear seems to be an adequate explanation of her relationship to technology. However through a detailed analysis of how she interacts whit technology in the context of everyday life, the concept of technology-fear turns out to be an inadequate conception of her interaction with technology. In turn this throws light on the issue of methodology in terms of how to explore complexity. Her description of her relationship with number of technologies gives a complex picture of the intertwined character of gender and technology. Particularly interesting is the way she negotiates meanings of gender in relation to tecnology. In the analysis of the account of her experience with technology I adress in more detail theorical implications of technological determinism for constructions of gender as difference.

Jacqueline Coutras, Jean-Louis Lacascade — On domestic technology: When mothers speak of freedom and daughters of independence

Young women in Paris in the 1950s, young women in Paris in the 1980s. Two generations. Two socio-cultural contexts. One line of descent. Much separates mother and daughter and yet… Mother, like daughter, wants to have the image of an “independent” woman, one who gets out and about, whose concerns go beyond the home and family responsibilities. Cars have been a great help in this emergence into the outside world, as have washing machines and refrigerators. Today, to relieve the daughter, the grandmother looks after her grandchildren in her own home. But she wants to limit the help she gives her daughter because she too wants an “independent” life, independent from her husband and from her children. She wants an external social existence.She has as much domestic equipment, more or less, as her daughter. She has bought it in order to reduce her domestic tasks, particularly the most repetitive. “Simplify daily life”, mother and daughter have the same attitude. They present themselves as “independent”, that does not mean that they consider themselves “modern”.

Resúmenes
Auteur•es

Anne-Jorunn Berg est chercheuse en sociologie des techniques et études féministes à l’Institute of Social Research in Industry (SINTEF), département Technology Management, à Trondheim en Norvège. Elle travaille sur les technologies de l’information et de la communication et la vie quotidienne, et sur la question du genre dans les processus d’innovation et d’usage. Parmi ses publications :
— (1996). Digital Feminism, Thèse de doctorat, Norwegian University of Science and Technology. Trondheim.
— (1995). “Feminism and constructivism: Do artifacts have gender?” (avec Merete Lie), Science, Technology and Human Values, vol. 20 n° 3, Summer.
— (1994). “A gendered socio-technical construction: The smart house”. In C. Cockburn et R. Fürst Dilic (eds), Bringing Technology Home. Gender and Technology in a Changing Europe. Buckingham, Philadelphia. Open University Press.

Danielle Chabaud-Rychter est sociologue, chercheuse au CNRS, membre du GEDISST. Ses recherches portent sur l’innovation industrielle, les techniques et le genre, les processus de conception, production, distribution et usage d’objets techniques. Parmi ses publications :
— (1994). « La mise en forme des pratiques domestiques dans le travail de conception d’appareils électroménagers ». Sociétés contemporaines, n° 17, mars.
— (1996). « L’innovation industrielle dans l’électroménager : conception pour l’usage et conception pour la production ». Recherches féministes, vol. 9, n° 1, p. 15-36.
— (1997). « Coopération et négociation dans le processus de conception d’appareils électroménagers : la fabrication collective du cahier des charges fonctionnel ». Cahiers Langage et Travail, n° 9, Catégorisations dans l’action, septembre.

Cynthia Cockburn est sociologue, chercheuse au Centre for Research in Gender, Ethnicity and Social Change, à la City University of London. Ses recherches portent sur les femmes et le travail, les hommes et la masculinité en relation avec le changement technique ; les actions positives en faveur de l’égalité des sexes au travail et dans les syndicats ; les regroupements internationaux de femmes.
— (1991). In the Way of Women. London. Macmillan.
— (1993). Gender and Technology in the Making (avec Susan Ormrod). Newbury Park, CA and London. Sage.
— (1994). Bringing Technology Home. Gender and Technology in a Changing Europe (avec Ruza Fürst Dilic eds). Buckingham, Philadelphia. Open University Press.

Jacqueline Coutras est géographe, chercheure au CNRS, directrice du GEDISST. Elle a publié plusieurs ouvrages sur le thème : pratiques urbaines et espaces sexués. Elle est également l’auteure de travaux de comparaisons internationales portant sur l’usage des technologies domestiques.
— (1996). Crise urbaine et espaces sexués. Paris. A. Colin.
— (1996). Domus et technologies, continuités et changements : Paris Berlin 1960-1990 (avec Lacascade J.-L., Meyer S., Schulze E.). Paris. IRESCO.

Jean-Louis Lacascade est chercheur au CNRS, membre du CSU (Culture et société urbaine). Il s’est intéressé au rapport entre technique et vie domestique, d’abord à travers l’analyse de la « domestication des ordinateurs », ensuite par l’analyse de la diffusion des techniques au sein des familles et de leur domus (espace de vie et champ domestique).
— (1991). Micros et logis. Paris. IRESCO.
— (1996). Domus et technologies, continuités et changements : Paris Berlin 1960-1990 (avec Coutras J., Meyer S., Schulze E.). Paris. IRESCO.

Susan Ormrod a été enseignante à l’University of East London, Departement of Innovation Studies. Ses domaines de recherche sont, entre autres, la théorie sociale et le féminisme, et l’étude sociale des techniques.
— (1993). Gender and Technology in the Making (avec Cynthia Cockburn). Newbury Park, CA and London. Sage.
— (1995). “Feminist sociology and methodology: Leaky black boxes in gender/technology relations”. In Keith Grint and Rosalind Gill (eds), The Gender-Technology Relation. Contemporary Theory and Research. London. Taylor and Francis.

Cahiers du Genre n°20/1997

168 p.

ISSN  1165-3558 – ISBN 2-7384-6346-0